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Ies templiers,
TRAGEDIE EN CINQ ACTES.
SPECTACLES. HISTOIRE I
^Sa.RUEDESEINE- PARIS
.oy.)H..'^.y
LES TEMPLIERS,
TRAGÉDIE,
PAR M. RAYNOUARD;
Représentée pour la première fois sur le Théâtre
Français par les Comédiens ordinaires de
l'Empereur, le 24 floréal an xiii (14 mai
i8o5);
Précédée d'un 'précis historique sur les
Templiers»
A PARIS,
CHEZ GIGUET ET MICHAUD, IMPRIM.-LIBRAIRES,
HUE DES BONS-ENFANTS, K°. 6.
^N XIII. — i8o5.
'■«-.. I
77^9
EXTRAIT DU DÉCRET
Concernant les contrefacteurs et les de'hitans d'Edi-
tions contrefaites.
Du 19 juillet 1795.
Art. IV. Tout Contrefacteur sera tenu de pa'yer
au véritable Propriétaire une somme équivalente au
prix de trois mille exemplaires de l'Edition originale.
Art. V. Tout Débitant d'Edition contrefaite, s'iF
n'est pas reconnu Contrefacteur , sera tenu de payer
au véritable Propriétaire une somme équivalente au
prix de cinq cents exemplaires de l'Edition originale,.
Veux exemplaires de cet Out^rage ont été déposés
à la Bibliothèque nationale. Les lois nous garantis-
santlapropriété exclusii^e, nous traduirions devant les
Tribunaux les Contrefacteurs, Distributeurs ou De-
hitans d'Editions contrefaites.
^■^^r^.V^^ ^/% X, %^^
DES TEMPLIERS.
IN EU F des chevaliers français qui avaient
suivi Godefroi de Bouillon à la conquête de
la terre sainte, se consacrèrent à maintenir
}a sûreté des routes contre les attaques des
infidèles, qui maltraitaient les pèlerins que
leur piété conduisait à Jérusalem (i).
Ces Français furent successivement ren-
forcés par plusieurs autres guerriers. Cette
milice généreuse parut bientôt avec gloire
dans les champs de bataille , et forma Tordre
;i'eligieux et militaire des templiers. Le con-
cile de Troj es Tïipprouva ; une règle fut
donnée aux chevaliers (2). On s'empressa
d'accorder des encouragements et des ré-
compenses à leur dévouement et à leurs
succès.
(î) Voto se soleraniter adstrinxerunt ad vias patrias
as^curandas. ( Martenne thés, anecd. t. 5 , p. 627.)
(2) Elle est insérée dans l'ouvrage de P. Chr. Heri'
ri quez : privilégia ordinis Cistercensis^
Vm DES TEMPLIERS.
i< Ils vivent, disait Saint-Bernard (i), sans
» ayoir rien en propre, pas même leur volonté;
» ils sont , pour l'ordinaire , vêtus simple-
» ment et couverts de poussière ; ils ont le
» visage brûlé des ardeurs du soleil , le re-
» gard fixe et sévère. A l'approche du eom-
» bat, ils s'arment de foi au dedans et de fer
» au dehors ; leurs armes sont lem' unicpie
» parure, ils s'en servent avec courage dans
» les plus grands périls , sans craindi^ ni le
» nombre, ni la force des barbares. Toute
» leur confiance est dans le dieu des armées»
» et en combattant pour sa cause, ils cher-
» client une victoire certaine ou une mort
» sainte et honorable.
» O l'heureux genre de vie, dans lequel
>j on pe^t attendre la mort sans crainte , la
» désirer avec joie^ et la recevoir avec assu-
>» rance î »
Les statuts de Tordre avaient pour bases
les vertus chrétiennes et militaires (2). 1|
nous reste la formule du serment exigé des
(1) D. Bernardi exhortatio ad milites Templi^
(2) In castîtate , et obedientiâ , sine proprio , vellé
perpétue vi vere professi snnt.
Ut vias et îtinçra ad salutem peregrinoruin , con-
ÏTES TEMPLIERS. ix
templiers : elle fut trouvée en Aragon, dans
les archives de l'abba} e vl'Alcobaza.
. « Je jure de consacrer mes discours^ mes
» armes, mes forces et ma vie à la défense
» des mystères de la foi, et à celle de l'unité
\> de Dieu, etc. Je promets aussi d'être sou-
» mis et obéissant au grand - maître de l'or-»
» dre Toutes les fois qu'il en sera besoin,
>5 je passerai les mers pour aller combattre*
» je donnerai secours contre les rois el prin-
» ces infidèles., et en présence de trois en-
» nemis je ne fuirai point , mais quoique
>y seul, je les combattrai, si ce sont des infi-
»dèles(i).»
tra latronum et iricursantium insidias pro viribus
conservarent. ( Gnill. Tyr. , lii'. \6 , cJi.'j. ]
Militaturl suiiïino régi. ( Jac. de VitY. Hist.
Hier. c. 65.)
(i) Juroque me yerbis, armis , viribus, et vitd
defensurum misteria fidei.... unitatein dei.... pro-
mitto submissionem generali maglstro ordinis et
obedientiam...ad bella ultra marina proficiscar, quo-
ties opus fuerit. Contra reges et principes infidèles
praestabo omne subsidium... a tribus inimicis ( si ia-
ûdeies fuerint) licèt solus , non fiigiam. [Henri^nez,
ioco ciiato. )
s DES TEMPLIERS.
Leur étendard était appelé le BaucéantÇ^ î) :
on y lisait ces paroles : Non nohis , Do-
mine^ non nohi.%^ sed nomini tuo cla glo~
rlam. C'était après avoir assisté on participé
aux saints mystères, qu'ils marchaient au
combat (2), précédés de l'étendard sacré,
et quelquefois en récitant des prières.
Leur sceau portait cette inscription : Sl-
gillinn milibinn CJiristl.
L'histoire rappelle souvent la gloire et le
dévouement de ces chevaliers.
(1) Vexilluin bipartitiun ex albo et nigro quod
nominant Beancéant. [Jac. de Vitri.^
En 1237, sous le magistère d'Armand dePérigord,
le chevalier qui portait le beaucéant dans une action
où les musulmans avaient l'avantage , tint ret éten-
dard levé jusqu'à ce que les vainqueurs , à coups re-
doublés , eussent percé tout son corps et coupé ses
mains.
Heginaldus de Argentonio , eâ die balcnnifer. . . .
cruentissimam de se reliquit liostibus victoriani.
Indefessus vero vexillum sustinebat , donec tibia
cum cruribus et manibus frangerentur.
( Math. Paris Hist, angl. p. 5o3. )
( 2 ) pivino cibo refecri ac satiati et dominicis
praeceptis eruditi et firmati , post myslerii divini
consummationem nullus pavescat ad pugnam , sed
puratus sit ad coronam. ( Art. 1 delà règle. )
DES TEMPLIERS. Tt
Des témoignages aiUhentiqiies prouvent
que, fidèles à leur serment et à leur insti-
tution, ils respectaient les lois de la reli-
gion et de TLionnenr.
Ce n'est point dans les ouvrages écrits
depuis leurs malheur s, que l'homme impar-
tial doit chercher quelles étaient les moeurs,
la conduite et les opinions des templiers.
Rarement des proscrits trouvent des apolo-
2>istes courageux. C'est aux historiens con-
temporains de ces chevaliers , c'est aux té-
moins de leurs vertus et' de leurs exploits
qu'il faut s'adresser , et on doit surtout
compter pour beaucoup les témoignages ho-
norables des papes , des rois et des princes
qui, peu de temps après, devinrent lems
oppresseurs.
Aucun historien contemporain n'avait ja-
mais acéusé ni même soupçonné les tem-
pliers d'être coupables des crimes qu'on leur
imputa ensuite.
L'adage, boire co?nme un templier,u&.éié
imaginé qu'après labolition de l'ordre, et il
ne prouve pas davantage contre eux que
l'adage plus ancien, bibere papaliter (i),
(i) M. Baluze , à qui rien n'est échappé de ce qui
Kii DES TEMPLIERS-
boire comme un pape, ue prouve contré'les
pontifes romains. ,
Les templiers ne furent jamais déûôûcéé
par les troubadours , et Ton sait que les sm
ventes de ces poètes hardis ne faisaient point
de grâce à la dépravation de leur siècle , et
attaquaient impitoyablement Je pape, le
clergé , les priii ces et les grands.
Dans les quinze dernières années qui Ont
précédé la proscription de Tordre, on voit
les papes s'interposer en sa faveur auprès
des rois d'Angleterre , d* Aragon et dé
Chypre.
Le concile deSalzbourg, tenu eu 1292,
avait proposé de réunir eu mi seul ordre les
chevaliers templiers , hospitaliers et teu-
toniques.
Si les templiers n'avaient joui alors d'une
réputation au moins égale à c^llç des autres
chevaliers, aurait-on proposé. de réuQir<;eux-
j-egârde les moeurs de ce temps là , a trouvé qu'alors
on disait bibere p ap aliter ; mais on ne trouve dans
aûciin écrivain antérieur àia suppression du tferaple^
bibere templariter. { Mansueùm J\ t. 2 , p. 341,
DBS TEMPLIERS: nm
ei à un ordre dëi^ënéré? Et puisque les teoi-
pliers étaieut à eux seuls plus puissants,"
plus nombreux et plus riches que les hos-
pitaliers et les teutoniques, et devaient trans-
mettre nécessairement aux incorporés leurs
maximes et lem^s moeurs , n'est -il pas évi-
dent que le concile de Salzbourg , qui pro-
posait cette réunion, rendait un honmiage
solennel à l'ordre des templiers?
Il fut en effet question de réunir les trois
otdres. Ce projet donna lieu à un mémoire
de Jacques de Molay au pape.
L'opinion générale est que cet illustre
chevalier ne savait pas écrire, mais dans le
mémoire qu'il fit rédiger, on remarque des
principes de raison et de sagesse, dont le
talent d'un homme instiiiit pourrait s'ho-
norer.
Le grand- maître craint la discorde parmi
les frères réunis : on les entendrait se dire
les uns aux autres : « Nous valions mieux
» que vous : dans notre premier état, nous
» faisions plus de bien (i) »•
(i) Nos naelius Yalebainus et plura faciebamus
bona.
XIV DES TEMPLIERS.
Il paraît que la règle et la conduite des-
templiers étaient plus sévères que celles des
hospitaliers, puisque le grand-maître ajoute:
<* 11 serait nécessaire que les templiers se re-
» lâchassent de beaucoup , et que les hos-
>> pilaliers se réformassent en plusieurs
» points (i) ».
En lisant ce mémoire sur la réunion des
ordres , et celui sur les moyens de reconqué-
rir la terre sainte, on reconnaît et on ad-
mire dans le grand-maître la franchise, la
loyauté et le zèle d'un chevalier animé par
la religion et par Thonneur ^ et qui , surtout,
avait droit de traiter avec le pape et les sou-
verains sur les intérêts de son ordre, sans
Craindre qu'on pût lui reprocher l'incon-
duite des chevaliers.
Aussi , avant de seconder les mesur<?s vio-
lentes de Philippe- le- Bel , le pape ne put
s'empêcher de lui témoigner que les accusa-
tions portées contre eux ne pouvaient que le
surprendre.
(i)Multùm oporteret quod templaiîi largarentur
Vel hospitalarii rt^stringerentur in pluribus.
^BaluziiiS, vUa paJ. aven. t. 2 , p. j8o. ].'
DES TEMPLIERS. xv
Le roi d'Angleterre rendit en faveur des
templiers un témoignage encore plus houo
rable. 11 écrivit aux rois de Portugal , de Cas-
tille, de Sicile et d'Arragou , pour les prier
de ne pas ajouter foi aux calomnies qu'on
répandait contre l'ordre (i).
Il écrivit aussi au pape : « Comme le
» grand-niaiti^e et ses chevaliers^ fidèles à
» la pureté de la foi catholicfue , sont eu
» très grande considération et devant nous
» et devant tous ceux de notre royaume ,
» tant par leur conduite que par leurs
a mœurs , je ne puis ajouter foi à des accu-
» sations aussi suspectes, jusqu'à ce que
» j'en obtienne une certitude entière (2) ».
Ce témoignage authentique et solennel
(i) Circulaire d Edouard du 4 décembre i5oj.
[Rymer, t. 5. a:î ann. iSoj. )
(2) Et quia praedicti magister et fratres in fldei
catholicaepuritafe constantes à nobiset ab omnibus de
regno nosiro tam viià , quàm moribus habentur rauU
tipliciter commendaii , non possumus hujus modi
suspectis relatibus dare fidem , donec super iis nobis
plenior innotuerit certitude. ( Rymer ibid.)
XVI DES TEMPLIERS.
d'Edouard est d'autant plus précieux , <^ue
le grand-maître et- les chevaliers français
étaient alors dans les fers.
Il n'est pas nécessaire d'examiner les rai-
sons politiques qui déterminèrent ensuite
Edouard à faire arrêter les templiers eà
Angleterre. Il suffit de convaincre le lecteiu'
impartial, qu'à l'époque de leur infortune
les templiers jouissaient généralement d«
J'estime publique ; que non - seulement au-
cun auteur contemporain , aucuu ennemi ,
pi public , ni secret , ne les avait chargés des
crimes dont on les a ensuite accusés , mais
que les papes et les rois qui les ont fait con-
damner, rendaient hautement justice et à
leur zèle pour la religion et à la pureté de
leurs mœurs.
Les écrivains modernes qui ont adopté
l'opinion que l'ordre des templiers était alors
dégénéré, ne se sont peut-être pas souvenus
que là plupart des chevaliers venaient de
^'illustrer par de glorieux efforts contre les
musulmans. Le grand-maître s'était trouvé
avec ses chevaliers en 1 299 à la reprise de
Jérusalem i après les revers que les armes
DES TEMPLIERS. xvn
t\es clirétiens éprouvèrent encore , les teni-
pliers , retirés dians l'île cl'Arad, inquiétèrent
long-temps leurs ennemis. Trop faibles ce-
pendant pour résister à des armées nom-
breuses, le grand -maître et ses chevaliers
furent réduits à se retirer dans l'île de
Chypre, où ils se préparaient à la guerre
contre les infidèles, quand le pape appela
le grand-maître en France. 11 arriva avec un
cortège de soixante chevaliers vieillis dans
les combats , éprouvés par l'adversité , tou-
jours prêts à verser leiu' sang et à donner
leur vie pour la gloire de l'ordre et la défense
de la religion.
Peut-on dire de pareils chevaliers qu'ils
passaient leur vie dans les plaisirs et dans
l'intempérance ?
Tout à coup les templiers sont aiTctés
en France , et poursuivis dans toute la chié-
tieulé. On publie contre eux les accusations
les plus graves , on les suppose coupables
de crimes atroces contrela religion et les
moeurs.
«Tous les historiens sont d'accord, dit
» Dupui , que l'origine de la ruine des tem-
svîii DES TEMPLIERS..
ir pliers vient du pricm de Monlfaiicon et
>.j de Noffodei , Florentin, banni de son pays ,
>i.q,ii'ancuns tiennent avoir été templier.
'>'} Ceprieiiravaitéléj,par jugementdu graud-
>y jnaître de l'ordre ;, condamné pour hérésie
ff et pour avoir mené une vie infâme , à finir
4> se§ jours dans une prison : l'autre, disent-
>^ ils , avait été , par le prévôt de Paris , eon-
» damné à de rigoureuses peines ».
Et c'est sur la dénonciation de ces deux
misérables, flétris par la justice, et dont
1\i:î avait été cliassé de l'ordre pour crime
d'hérésie et dérèglement de moeurs, qu'on
intente unepareille accusation contre l'ordre
entier ! . '
Quelle étrange contradiction!
Si le grand-maître punissait solennelîemeûtf
de tels crimes» pouvait -on supposer que la
constitution de l'ordre en fit une loi expresse
pour les chevaliers ?
Et si une affreuse corniption eut existé
dans l'ordre, aurait -on eu besoin d'attendre
que tous les chevaliers fussent jetés dans des
cachots, pour répandre contre eux cette
étrange et horrible calomnie ?
DES TEMPLIERS. xrx
Avant (le discuter en détail la iiaturc de
raccusafioa, les procédures extraordinaires
et irrégulières qui eurent lieu , les prétendues
preuves que quelques feistoriens supposent
en résulter, les motifs et les formes des juge-
ments de condamnation , il est nécessaire
de présenter le tableau des oppressions que
les chevaliers proscrits" eurent à subir.
Le grand -maître était dans l'île de
Chypre; on l'appelle en France, sous préu
texte de réunir son ordre à celui des hos-
pitaliers.
Le i3 octobre iSoy, ce grand -maître
et cent trente - neuf chevaliers sont arrêtés
dans le palais du Temple à Paris.
On s'empare de leurs biens et de leurs ri-
chesses.
Le roi occupe leur palais (i).
Le même jour , les autres chevaliers sont
arrêtés dans toute la France. *
Le roi publie un acte d'accusation qui les
cfualifie de loups ravissants , de société per-
fide, idolâtre , doiu les œuvres , dont les
(i) Diipui.
SX- DES TEMPLIERS.
paroles seules sont capables de souiller la
terre, et d'infecter l'air , etc. (i).
Les habitants dé Paris sont convoqués (2)
dans le jardin du Roi. Toutes les commu-
nautés et paroisses de cette capitale s'y ras-
semblent ; des commissaires , des moines
prêchent le peuple contre ces proscrits.
Ils étaient dans les fers. L'inquisiteur
Guillaume de Paris, les interroge; on les
isole de tout conseil ; on laisse manquer du
(1) Quorum non solùm actus et opéra detestanda ,
Verùin etîain repentina verba terram sua foeditate
commaculant , rorls beneficio subtraliunt, et aëris
inficiunt puritatem.
( Circiiliiire de Philîppe-le-Bel, du 14
septembre iSoy.)
(2) Die dominicà sequenti idus octobris, puLlicus
serino factus est in viiidarlo regîs ubi primo a fra-
tribus , posteàa'regis ministris causa captionis eoruiïï
intimata est , et praedlcti casus tarti , ne popuhis
scandalisaretur de eorum subiiâ captione. Erant quip-
pe potentissiini divitiis et honore. In quo sennone
fuerunt populus et clerus omnium parrocbialium
ecclesiarum parisiensium. ( Joan. earionic. Sti.
Victoris. \
DES TEMPLIERS. \xi
nécessaire (i) ces guerriers qui, par leurs
privilèges et leur fortune , marchaient na-
guère à côlé des princes.
On leur refuse les secours spiiituels, sous
prétexte qu'étant hérétiques , ils sont in-
dignes d'y participer (2).
S'ils veulent remplir des formalités de jus-
tice , aucun notaire n'ose leiu' prêter son mi-
nistère (3).
Vingt-six princes ou grands de la cour de
(i) Nous vous prévenons , disaient-ils à l'autorité,
que les douze deniers qu'on nous donne ne peuvent
point nous suffire. Sur ces doiize deniers on nous fait
payer
Chaque jour pour coucher , 3 deniers.
Pour la cuisine , etc.
Pour FAIRE ôter les FERS cliaquc fois qu'on nous
fait paraître devant l^s commissaiies et pour les re-
mettre , 2 sols , etc. etc.
(2) Catalogue des manuscrits de Baluze , p. 525.
Le Grand-Maitre demandait tjiiodposset andire
rnissam et alla officia divina. ( Dupui , p. i3o. )
(3) Quàd mittatis cum ipsis unum vçl duos de no-
tariis , qui de dicta appellatione faciant eis publi-
cum instrumentum , cùm non inveniant nota-
Rios (jm TF.LL5NT ire cum ipsis ad hoc faciendum.
i^Dupui , p. 167.)
mn DES TEMPLIEB Si-
Philippe - le - Bel se déclarent leurs accusa-
teurs.
De tout côté , les archevêques, évéques,
abhés, princes, chapitres, communautés de
villes , bourgs et châteaux envoient leur ad-
hésion.
- iJe roi et le pape obtiennent de divers
princes que les templiers subissent, dans la
plupart des autres états de l'Europe, le ^némé
sort qu'en France.
Avant que les templiers soient jugés par
les tribunaux, avant qu'ils le soient parle
concile de Tienne, le pape lance une bulle
d'excommunication contre toutes les per-
sonnes qui accorderaient aide , secours , re-
traite, ou conseil à ces infortunés (i).
(■t)Nos eniiTi oinnpset singulos cuiuscuinqueprœe-
rainentiœ sint , digr^itatis, ordinis , conditionis , aut
status, etiamsi pontiPicali prEefulgeant dîgnitnte ,
gui sopra diotis teinpTani's vel eorum alicui scienter
publirè vel orultè pr^stabUnt auxilium , consi-
LlUM VKL FAVOEEM', Tel alîàs , IPSOS VEL ALIQUOS
IPSORUM RTCEPTARE VEL R ETINER E, aut cis Ut pEffi"
initîitur favere prû&sùm^seiint , auctoritate praesen-
tium excoinmunirntionis sententià innodamus...
Absolutionem prcedictorum preeterquam in mor-
DES TEMPLTBRS. xxm
On promet la vie ^ la liberté, la fortune
aux chevaliers qui avoueront les crimes dont
Tordre est accusé.
Pour les y engager, on leur présente de
prétendues lettres du grand-maître, par les"-
quelles ils sont invités à faire ceb-aveu (i).
Lorsqu'ils résistent à tous'les genres de
séduction, on les livre aux tortures ; on leur
arrache des aveux , et si , dans le repos dé It
douleur , ils se rétractent , on les jiige héré-
tiques, relaps, et on les envoie à la mort ,
non pas pour avoir commis les crimes dont
on les accuse /mais pour avoir révoqué leurs
aveux.
tis articulo , ac relaxationem ipsius iiitcidicti nobis-
nostrisque successoribus reservantes.. .
Si qui autem ]ioc aUemptare pra;suuipss;ir. , iw-
dignationem omnipotentis Dei et beatorum Pelri et
Pauli apostolorura ejus se noverit incursurunh
Datum TolcscG, 5 kal. Januarii, pontificatûsnostri
aniio quarto.
(i) Copiam litterarum magni magistri quibus
omnibus fratribus suis intimabat quod hcec et liJ3C
fuerat confessas et quod idem contiterentur omnes-,
(^■loan. canoTiic. Sir. P ictoris.)
( Contiii. de Gui II. de Ncuigi:^ )
XXIV DES TEMPLIERS.
La liaiiie et l'animosité sont telles qu'on
déterre et qu'on brûle les ossemens des lenv
pliers moi ts avant racciisation (i).
La plupart des cent vingt-sept chefs d'ac-
cusation que le pape envoya aux conunis-^
saires apostoliques , aux inquisiteurs et aux
évéques pour» diriger les informations, pa-
laî Iront absurdes, invraisemblables, et même
contradictoires.
Cette accusation suppose que lors de la
réception des templiers, on leur faisait une
loi expresse d'être impies dans leur croyance
et dépravés dans leurs mœurs ; qu'ils re-
niaient Jésus-Christ ; qu'ils crachaient su^*
la ct-oix , et souffraient des libertés scanda-»
leuses.
Il serait à la fois superflu et affligeant
d'entrer dans des détails à ce sujet.
Au lieu de flétrir la mémoire des persécu-
teurs des templiers ,.que ne puis-je rejeter
sar l'esprit d'un siècle ignorant la honte et le
succès d'une dénonciation absurde , et qui
(}) Ossa cnjiisdiun diidiim clefuncti srilicôt M. Joa^r
riis de Thuroexhuicata atque coinbnsta.
( Joan. canouic. Sii, Victoris^ )
DES TEMPLIERS. xxv
peut-être n'a réussi alors que par son absur*
dite même !
Dans la foule des traits frappants qui
feraient juger de l'esprit du siècle, je cite-
rai raccusation portée contre la mémoire
de Boniface VIII. Philippe-le-Bel ou ses
courtisans avaient offert de prouver que ce
pape s'élait souillé des crimes les plus hor-
ribles et les plus détestables, qu'il était hé-
rétique , qu''il avait livré son âme au dé-
mon , etc. Les témoins avaient été entendus
jviridiquement , et avaient attesté les faits
dénoncés. Il fallut que Clément V employât
beaucoup d'adresse, de fermelé et de res-
sources , pour éluder le scandale du jnge-
jiaent qui eut flétri la ménioire d'un pontife.
Guichard, évéque de Troyes, ne fut -il
pas accusé d'avoir causée par sortilège, la
mort de la reine Jeanne de Navarre? A l'ex-
travagance de l'accusation succéda l'extra-
vagance de la preuve ; des témoins dépo-
sèrent qu'il était coupable (i).
A l'époque de la mort de Philippe-Ie-Bel ,
(i) Fleuri , hist. ecclésiastique , liv. 92.
xxTi DES TEMPLIERS,
ranimosilé et la vengeance obtinrent nî|
i^rand succès contre Engucrrand de Ma-
rigni. On le poursuivit d'abord pour avoir
dilapidé les finances, Le comte de YalGis,€|ui
voulait perdre Marigoi , obtint qu'on arrêtât
sa femme et sa sœur. Des témoins déposèrent
qu'à la sollicitation.de ce ministre, elles
avaient employé un magicien, nommé Jac-
ques de Lor , pour attenter à" la vie du roi ,
en faisant de certaines opérations, magiques
par le moyen de figures de cire.
On mit en prison le prétendu magicien ,.
qui se pendit de désespoir. Des témoins fu-
rent entendus; le fcrime parut prouvé ; la
femme du magicien fut brûlée comme com-
plice, et Marigni fut condamné à être pen-
du, nonobstant sa qualité de gentilhomme
et de chevalier.
Tel était le siècle où les templiers fiïrent
condamnés; tels étaient les moyens violents
que les accusateurs étaient dans l'usage d'em-
ployer! ,
On pourrait donc attribuer aux malheurs
des temps et à l'erreur du siècle, autant
qu'aux passions de quelques hommes jouis-
sants , les vexations cruelles , les accusations
DES TEMPLIERS. xxvi?
absurdes dont les templiers furent les vic-
time'^.
Les personnes qui auraient hésité de croire
que l'inquisiteur Guillaume de Paris ait pro-
cédé contre les templiers d'une manièic
cruelle , pourraient-elles récuser les attes-
tations des historiens , les plaintes des accu-
sés, les assertions des juges, et surtout l'ins-
truction que l'inquisiteur avait rédigée pour
ses commissaires (i)?
(i) Cliest la forme, comment li commissaires iro:il
avant en besoigne,
Esliront prudhommes puissans du pais sans soup-
çon , clieraliers , eschevins , consuls , et seront en-
formés de la besoigne secreement et par sermentj
et comment li rois est de ce enformés par le pape et
par réglise.
Et tantost il seront envoie par cascun leu, pour
prendre les personnes et saisir leur biens j ei orde-
ner de la garde.... et iront si enforciement , que îi
frère et leur mesnie [serviteurs) ne puissent con-
tester.
Et auront sergens aveuc eus , pour eus faire obéir.
Après ce , il metront les persones sous bone et
seure garde, singulièrement à cascim par soi. Et en-
querront de eus preTDÎereihçnt îa vérité ) et puis ape-
xxvni DES TEMPLIERS.
Elle porte de choisir des gens sûrs^ de les
instruire en secret, d'exiger d'eux un ser-
ment, en leur annonçant que le roi est in-
lerontles commissaires de l'inquisiteur, et examine-
ront diligemment la vérité, et par jehine ( /or^wr»
ox\ question) se raestier'(<^e5o//2) est. Et se il con-
fessent la vérité, il feront écrire leur déposition
tesmoins apelés.
C'est la manière de l'enquerre. L'en les amones-
tera premièrement, des articles de la foi , et dira
comment li papes et li rois sont enfermé par pluî-
seurs témoins bien creables de Tordre , de l'erreur
et de labougrerie , que il font especiaument en leiir
entrée et en leur profession.
Et leur prometeront pardon , se il confessent la
vérité , en retournant à la foi de la sainte église ; ou
autrement il convient que il soient à mort con-
dempné...
Et doivent li commissaires envoier au roi sus les
seaux des commissaires de 1 inquisiteur , le plus-tost
qui il porront , la copie de la déposition de ceux qui
confesseront lesdites erreurs , especiaument le renie-
ment de notre Seigneur Jehsu-Crit.
( Extrait des instructions données -par l'in-
quisiteur Guillaume de Paris , imprimées dans
l'ouvragt de Dnpui , édition de Bruxelles , in-xz^
1710 , T. z^p, 3x3;, et in-ù^.y i-j5i ^p. 201. )
DES TEMPLIERS. xxix
formé des crimes de l'ordre par le pape et
l'église^ de saisir les biens et les personnes
des templiers, de les emprisonner cliacnn à
part, de les interroger, et d'employer lator-
tme i s'il est besoin.
On devait offrir le pardOn s'ils confes^
saient ce que riuquisiteur appelait la vérité,
et ea cas de refus leur déclarer qu'ils se^
Paient condamnés à morte
L'inquisiteur indique ensuite les faits dont
les commissaires ou la torture doivent obte-
nir l'aveu. Il recommande de ne rédiger les
interrogats et de ne les envoyer au roi ,
qu'autant que les accusés se seront recon-
nus coupables.
Quelle procédure que. celle qui com-
mence par la torture ! Quek juges que ceux
qui commencent par déclarer à l'accusé,
que s*il n'avoue pas les crimes qui lui sont
imputés , il est d'avance condamné à mort î
Quelle partialité que de réiliger seulement
les réponses à la charge des accusés !
Et qu'on ne dise pas que ces instructions
n'ont pas été exactemeut suivies.
XXX DES TEMPLIERS.
Diipui raconle rinlerrogatoire de treize
teiiipHers de Caen (r).
« Le dernier desdits lémoios ne voulant
» rien confesser,/!/^ mis à la qu^sùion^eic. »
Divers liisioricos contemporains parlent
des tortures que subirent les templiers (2).
Ils n'en furent pas.inénie exempts en Ar-
.ra^Ton , où 00 n'osa les condamner. (3),
En Angleterre, le concile de Londres àér
cida fjiie si après les avoir interrogés de
lîouveau, ils persistaient dans leurs dénéga-
(i) Dupui.
(2) Pluriuii autem ipsorum confiteri tninlinè vo»
luerunt quamvis non nulli ipsorum subjecd fnerint
qiiceslionibiLs et Lormentis. ( T^ita démentis /^.
Auct. Bernardo Guidonîs.
Alii autem diveisis tortnentîs quœstionati , seu
romnùnatione vel eoruin aspectu perteiTiti , alii
blandis tracti pronnssionibus et illecti : alii arctâ
rarceris inedià cruciati vel coacti , multipliriterque
compulsi sunt. ( Co72///î, de Qtiîil. de Nangis.)
Cï) Le concile (3e Tarragone , lenu en ï5r2 ,
parle ainsi clés Templiers qu'il jugea : Neq?je eniia
tam culpabiles inventi , ac fama ferebat; quamvis
toi mentis adacti fuissent ad confessiouem crimi-
DES TEMPLIERS." xxxi
lions Àls seraient mis à la question, et qu'elle
serait donnée de manière qu'il n'y eût pas
mutilation incurable de quelque membre,
ni violente efi'uston de sang (i).
Les cris dé l'indignation, les plaintes de
la douleur ont traversé le silence des siècles,
et sont encore entendus par la postérité.
Ceux des templiers qui eurent la vertu cou-
rageuse de défendre l'ordre devant les com-
missaires du pape leur reprochèrent sans
cesse que c'était surtwit par la crainte ou
par l'effet de la torture que l'inquisiteur s'é-
*ait procuré les aveux dont on se prévalait
contre l'ordre.
Toutes ces autorités irrécusables ne per-.
mettent plus de douter que le moTeii cruel
et irrégulier de la torture préliminaire n'ait
été employé contre ces proscrits.
Il serait inutile*et fastidieux d'examiner
(i) Et si... niliil aliud quam prius vellent confiteiî,
quod ex tune fjHces'uonarenttir, Ita qubd queôstiones
illaa fièrent absque mutilatione et debilitatione per»
peMlà ^iicujus mettibri et sine violenta sanguinis
effusione. ( Rymer , t.'5 , p. 227. )
XXXII DES TEMPLIERS,
les divers inlerrogatoires qui eurent lieu eu
France; mais je dois faire quelques observa-
lions sur celui des cent quarante détenus au
Temple.
Cet interrogatoire, dont Dupui avait donné
]a notice , est écrit sur un immense rouleau
de parchemin , dans la forme d'un jjrocès lU-
tératoire. Il est évident qu'il a été rédigé hors
de la présence des accusés , sur les notes suc-
cessivement prises dans les diverses séances.
On reconnaît, dans ce manuscrit, tous les
caractères d'authenticité matérielle qu'on
exige pour les titres de ce temps là; mais,
quant à l'authenticité morale , il est peut-être
permis d'élever de grands doutes.
11 est très-probable que plusieurs cheva-
liers , séduits par les promesses , épouvantés
par les menaces, ou vaincus par les tortures,
firent des aveux ; mais c^s aveux , olîleniis
par la séduction ou arrachés par la douleur ,
aggravent le crime et l'opprobre des accu-
sateurs.
L'interrogatoii^e suppose que cent trenle-
sept chevaliers firent des aveux , peut être il
paraîtra évident que, dans le nombre des
cent quarante interrogés , il s'en trouva plus
DES TEMPLIERS. xxxiit
de trois qiii résistèrent à la séductioa , aux
menaces et à la torture.
Lorsqu'il filt permis à ceux des templiers
qui voulaient défendre l'ordre de paraître
devant les commissaires du pape , soixante-
quinze se présentèrent; dans ce nombre,
j'en compte au moins treize (i) des cent
trente-sept, qui sont supposés être, lors de
cet interrogatoire , Convenus des Crimes im-
putés à l'ordre.
Pierre de Boulogne, prêtre et procureur-
général de l'ordre , âgé de quarante-quatre
ans, portait la parole (2)*
D'après la rédaction de l'interrogatoire^
il paraît avoir fait des aveux (3).
Cependant , il défendit l'ordre avec la plus
grande véhémence : il dénonça devant les
commissaires la séduction et les torture»
qu'on avait employées pour obtenir de
quelques chevaliers , des aveux mensongers*
■ ■ *
(i) Ces treize clievaliers sont les 7*., 11*. , 3o«. ,
58«=., 46'., 59^, 67^, 75^ , ioo%, ioi«., lax*.,
l27^, i3o*.
(2) Voyez les Pièces justificatives^
(3) Voyez son interrogatoire , parmi les Pièces
justificatives.
5
XXXIV DES TEMPLIERS.
Si ces treize délenseui^s de Tordre , et notam-
ment Pierre de Coulogne, qui mettaient
tant de zèle et de comage dans leurs asser-
tions , eussent véritablement avoué devant
l'inquisiteur les crimes horribles imputés à
l'ordre, les commissaires, que l'énergie de
celte défense devait à la fois humilier et in-
digner, eussent-ils manqué de leur objecter
qu'ils étaient eux-mêmes convenus de la vé-
rité des crimes dont ils voulaient justifier
tous les chevaliers?
Les expressions mêmes de cette défense
prouvent évidemment que ces treize tem-
pliers n'avaient encore fait aucun aveu,
puisqu'ils disent expressément que si les che-
valiers qui en ont fait ne les rétractent pas,
c'est parce qu'ils sont tellement accablés de
terreur, qu'ils n'osent se rétracter, à cause
des menaces qu'on leur fait chaque jour; et
ils demandent que ces infortunés puissent ,
sans péril , rendre hommage à la vérité.
Clément Y avait regardé comme un ou-
trage fait à son autorité les actes arbitraires
qu'on s'était permis contre eux. 11 prétendait
que c'était à lui seul de les "juger et de les
punir.
\
DES TExMPLIERS. xxxv
11 exigea donc que les templiers lussent
poursuivis en son nom. II délégua des com-
missaires apostoliques, pour prendre une
mformation contre l'ordre.
On avait eu soin de conduire, et de lui
présenter, à Poitiers, soixante-douze cheva-
liers , pour confesser les crimes dont on exi-
geait l'aveu.
Quoique un historien Contemporain rap-
porte (i) que les templiers interrogés par le
pape, ne cédèrent qu'à la torture, quoique
cette forme cruelle de procéder n'eût peut-
être rien d'extraordinaire dans le temps, je
préfère d'admettre qu'on présenta seulement
au pape des chevaliers qui, ayant déjà cédé
à la douleur ou à la séduction, espéraient
qu'à la faveur de leur aveu, ils obtiendraient
la vie et la liberté.
Le sort de ces infortunés était si affreux,
que 1 histoire atteste que plusieurs étaient
(i) Ad quas prasdicta aliqui ex eo ordine cœperunt
trepidare et ex tormentis coram summo pontifice et
rege praedicto confessi sunt. ( Chronicon Astense ,
script, rer. ital. ,i. 12, p. 192. )
3..
XXXVI DES TEMPLIERS.
iiiorts de faim, et que le désespoir en av^it
porté d'autres à se détruire, (i)
Il eut élé très important que Jacques de
Molay parût devant le pape , qui se réser-
vait le droit de prononcer sur le sort de" ce
chef de l'ordre , et de quelques autres. Sans
anticiper sur les détails relatifs au grand-
maître, je dois remarquer qu'on éluda celte
entrevue qui aurait pu jeter un si grand jour
sur l'affaire : on nomma des commissaires
pour interroger à Ciiinon , le grand - maître
et d'autres chefs de l'ordre.
Il est évident qu on ne voulut présenter au
pape que quelques chevaliers dont on fût
très sûr, c'est-à-dire, les mêmes qui, apos-
tats de l'ordre, servirent de témoins contre
lui, dans cette fameuse information que j'au-
rai bientôt occasion d'apprécier.
On ne connaît ni les noms, ni les aveux
de ces soixante-douze templiers que le pape
dit avoir interrogés. Aucun procès -verbal
(]) Quidam in ipso templo , nt fama proferebat ,
plures mortuos fuisse, prœ inedià, Tel cordis tris-
titià vel ex despenllo suspenclio periisse. ( Joann.
can. Su. Victoris, \
DES TEMPLIERS, yxxxn
ne fut rédigé; il n'existe, à cet égard, que
l'assertion du pape. Les agents de Philippe-
le-Bel voulaient seulement fournir au pcintife
des motifs ou des prétextes contre l'ordre ;
ils y réussirent.
Des commissaires apostoliques se rendi-
rent à Paris, et prirent cette fameuse infor-
mation composée de deux cent trente - mi
témoins.
Cette information fut produite et lue de-
vant les pères du concile de Tienne. Elle ne
leur parut pas offrir des preuves capables
de les déterminer à prononcer l'abolition de
l'ordre; et en effet il suffit de quelques ob-
servations pour démontrer qu'elle ne mérite
pas que l'impartialité du juge ou de l'histo-
rien lui accorde la moindre croyance.
lia plupart des deux cent trente - nu té-
moins attestent , il est vrai , les prétendus
crimes imputés à l'ordi^e.
L'invraisemblance, l'absurdité, la contra-
diction de ces prétendus crimes suffiraient
pour faire rejeter cette information; que
sera-ce quand on saura de quels témoigna-
ges elle était composée?
Les commissaires apostoliques entendi-
rent en témoins les templiers apostats qui.
xxxvm DES TEMPLIERS.
avaient changé leurs rôles d'accusés en celui
de dénonciateurs de l'ordre.
Ainsi plusieurs des cent quarante inter-
rogés au Temple, qui par séduction ou par
crainte avaient fait des aveux , et qui n'a-
vaient pas la volonté ou le courage de les
rétracter, furent entendus en témoins, (i)
{^i) Les accusés répondant Déposent comme témoin»,
dans l'interrogatoire du dans l'information ysous.
Temple , sous les n"'. les n°^.
No. 70 N«. iS.
88. 41-
4 46.
3 47-
a 70.
121 75.
61 75.
58 77.
72 75.
112, 83.
i3o 85.
110 86^.
87 . 87.
78 88.
5 89.
4B 92-
127 : 97-
12,8 I01_.
29 io5.
58 io5.
92 117.
339 120,
ioi i33.
. 2 i63.
44 • • 192.
etc. etc. etc. etc.
DES TEMPLIERS. ixxix
Ainsi l'on appela de divers lieux les tem-
pliers qui , pour sauver leur vie et obtenir
leur liberté, avaient eédé aux promesses,
aux menaces ou aux tortures.
En rassemblant leurs témoignages suspects
et intéressés, on composa celte information.
C'est pour la première fois , peut - être ,
qu'on a vu des accusés qui obtenaient leur
grâce à la faveur de leurs aveux , reparaître
ensuite comme dénonciateurs et témoins
contre leurs co-accusés.
La très grande partie de ces deux cent
trente-un témoins est donc composée de
templiers apostats qui, ayant quitté (i) le
manteau de l'ordre, avaient été absous par
des conciles, et réconciliés avec l'église pour
prix de leurs lâches aveux.
Quelques dépositions sont en faveur de
l'ordre, c'est à-dire,qu' elles attestent que lors
des réceptions il ne se passait rien que de
conforme aux lois de la religion et de l'hon-
neur.
Enfin quelques autres dépositions de té-
(i) Non deferens inantellum ordinis quia voltin-
tarie ipsura dimiserat.
XL DES TEMPLIERS,
moins étrangers à l'ordre, ne pouvant pas
donner des renseignements directs et cer-
tains sur le secret du mode de réception, ne
méritent aucun égard.
Les pères du concile de Tienne ne firent
qu'un acte de justice, en refusant leur assen-
timent aux prétendues preuves résultantes
de cette information.
Au surplus , ils n'ignoraient pas que tous
ç.es apostats rassemblés pour déposer contre
l'ordre, n'étaient que le très petit nombre
des chevaliers, (i) et que les autres suppor-
( 1 ) On lit dans une bulle de Clément V à Phi-
î;ippe-le-Bel , datée d'Avignon 2 nouas niaii , Pon-
tificatûs quarto anno , que le roi avait téjn oigne
au pape que le retard qu'éprouvait l'affaire des
templiers pouvait occasionner de tristes et dange-
reux effets , puisqu'il avait déjà causé de très
grands maux. << Plusieurs des templiers, disait le roi»
» qui avaient d'eux mêmes avoué qu'ils étaient cou-
» pables , voyant l'affaire traîner en longueur , rora-
» bent dans le désespoir , se méfient du pardon :
» d'antres au contraire rétractent leurs aveux : ces re-
>> tards excitent les murmures du peuple contre votre
v> grandeur et contre moi-même. Il dit que nous ne
»> nous soucions ni vous ni moi de cette affaire ;
DES TEMPLIERS. xu
talent leiir sort plutôt que de trahir leurs
serments et démentir leur vertu, (i)
Us n'ignoraientpas cpie cette grande majo-
rité n'avait pas été interrogée , et avait seu-
>) mais que nous en voulons seulement aux biens
»> que les templiers possédaient. »
Multi enim teinplarioruiu ipsorum qui reatum
eorum fuerant sponte confessi, intuentes sic ipsum
differinegotium, ad desperationem deducti, de mise-
ricordià ecclesiae diffidebant ; alii ver6 revocabant
confessiones easdem et in errores pristinos recide-
bant, quodquepropler moras et dilationes praefatas
contra nos et tuam luagnitudinem populus clamabac
et etiam murinurabat dicens quod nec nobis neque
tibi de negotio Jiujusmodi erat curse , sed de praedâ
bonorum quae teiuplarii possidebant.
( Bulle inédite de Clément V à Philippe-le^
Sel ^ datée : Avenioni 2 nonas niaii ,pontifica-
tûs IV anno. Elle se trouve cottée N°. ig, dans le
carton des templiers , iV^. 5 , an trésor des
Chartres. )
Il fallut donc rassurer les làclies qui avaient fait
volontairement des aveux : on leur donna la liberté ;
ils renoncèrent à Tordre et servirent de témoins
contre lui.
( 1 ) Majori et saniori parti viventîum pro ipsâ
veritate sustinendâ , solâ urgente conscientiâ. ( Dé-
fense des 76. )
xui DES TEMPLIERS.
lemeiit été admise à donner ses défenses, par
la bouche des soixante-quinze qui comparu-
rent pour l'ordre, et qui parlèrent au nom
de cette immense majorité , par-devant les
commissaires apostoliques.
Les dépositions contenues dans cette in-
formation prise par les délégués du pape,
ne sauraient donc être considérées comme
formant preuve contre les templiers.
La raison , la loi , l'équité s'accordent à
rejeter des dépositions aussi suspectes et aussi
intéressées.
On conçoit comment les mêmes individus
ont fait des aveux lors de l'interrogatoire du
temple^ ont été choisis pour paraître devant
le pape , et ont ensuite déposé contre l'or-
dre, par-devant les commissaires apostoli-
ques.
Au reste sur quoi portaient toutes ces dé-
positions?
Elles portaient seulement, ainsi que l'at-
testent les commissaires eux - mêmes sur le
mode de réception , lorsqu'un chevalier en-
trait dans J'ordre.
C'était le même aveu qu'on exigeait par-
tout, et il ne fut pas difficile de l'obtenir.
DES TEMPLIERS. xun
Les commissaires se ilëcidèrent à clore
l'information :
«Considérant, disent-ils, que par l'attes-
» tation de deux cent trente-un témoins , dont
» quelques-uns déposent des réceptions fai-
» tes outre-mer, et des autres témoins enten-
» dus dans les diverses parties du monde,
» contre l'ordre et en sa faveur; en outre par
» les aveux des soixante-douze qui avaient
» comparu devant le pape et les cardinaux ,
» on est suffisamment instruit, etc. » (i)
Yoilà donc à quoi se réduit cette infonna-
tion^ que les ennemis des templiers ont pré-
sentée comme une preuve irréfragable de
leurs crimes et de leurs désordres.
Nul doute que , s'agissant des cérémonies
de leur réception , auxquelles les étrangers
( 1 ) Considérantes quàd per attestationes ducen-
torura triginta et unius testium per quorum aliquos
deponebatur de receptionibus factis ultra mare in
prassenti inquisitione , et alioruin in diversis mundi
partibus examinatorum contra ordinem et proipso,
unà cum septuaginta duobus examinatis per dictum
dominum papam et aliquos dominos cardinales in
regno Francias, poterant reperiri ea qnae reperiren-
tMr per plures etc. ( Dnpui p. 172. )
3aiv DES TEMPLIERS.
n'étaient point admis, les cléposilions des té-
moins qui n'avaient pas été templiers, ne
pouvaient avoir aucune inlluence, puisqu'ils
paillaient tout au plus d'après des ouï-dire.
INul doute que les apostats de l'ordre ne
pouvaient pas porter valabl ement témoignaf^e
contre lui. Ils étaient évidemment suspects;
la turpitude de leur conduite, l'intérêt per-
sonnel et urgent qu'ils avaient à faire décla-
rer l'ordre coupable , eussent fait rejeter leur
témoignage par-devant tous les tribunaux
de justice, et à plus forte raison par-devant
ceux de l'histoire et de la postérité.
Opposera-t-on que , s'agissant d'un crime
clandestin , on ne pouvait en fournir la preuve
par des témoins étrangers à l'ordre ; et qu'a-
lors ces témoins apostats devenaient des té-
moins nécessaires ?
Si, par des actes extérieurs et publics
d'impiété, si , parle scandale de leurs mœurs,
les chevaliers avaient permis de soupçonner
l'existence de ce statut horrible et invrai-
semblable ; si l'on avait découvert, d'ailleurs,
quelque preuve ou indice de ces statuts,
alors, peut-être, la justice aurait pu admet-
tre les dépositions des templiers apostats, et
DES TEMPLIERS. xlv
croire qu'il existait dans l'ordre un statut
criminel et secret; ce statut eut pai'u vrai-
semblable et presque prouvé par les effets
de ia conduite impie et dissolue des cheva-
liers , qui en eut semblé la conséquence.
Mais quand on n'ai^ticule aucun fait exté-
rieur et public qui permette de justes soup-
çons ; quand la conduite des chefs de Tordre
et même des chevaliers , se trouve justifiée
par les attestations les plus honorables, par
celles même des papes et des rois qui les ont
ensuite persécutés , conuiient oserait-on ap-
peler témoins nécessaires les apostats de
l'ordre , et soutenir , d'après leurs déposi-
tions^ qu'un pareil statut ait existé, sans mo-
tifs, sans intérêt, sans utilité pour l'ordre,
ni poiu' les chefs, ni pour les chevaliers,"
qu'il eut gratuitement avilis à leurs propres
yeux , et à ceux de Torchée entier î
Et quel doute pourrait tenir contre l'as-
sertion noble et courageuse de ces brave«
chevaliers qui , du fond de leur prison , fidèles
à leurs serments, à la vertu, à la vérité,
osèrent, au nombre de soixante-quinze, se'
porter poui' défenseurs de Tordre opprimé,
xLvi DES TEMPLIERS.
et parlèrent au nom d'une immense ma-
jorité (i)?
De pareils témoignages , qui furent punis
par un supplice cruel , ne doivent -ils pas
prévaloir contre les dénonciations viles et
intéressées des apostats , qui rachetèrent
leur vie par leur déshonneur? La défense
des soixante-quinze ne fut pas écoutée par
les juges du temps ; mais elle le sera par l'im-
partiale postérité ; il suffit de la transcrire
ou de l'abréger. Je me reprocherais d'ajou-
ter le moindre ornement à son éloquente
simplicité, et peut-être l'essay erais-je en vain.
« Les formes légales (2) , disaient-ils , ont
» été violées envers nous.
» On nous a arrêtés sans procédure préa-
» lable.
» Nous avons été saisis comme des brebis
» qu'on mène à la boucherie.
» Dépossédés tout à coup de nos biens ,
» nous avons été jetés dans des prisons af-
» freuses.
( 1 ) Entre autres , trois cent quarante chevaliers
étaient détenus dans dix-neuf maisons d'arrêt à
Paris.
(2) Processus contra templarios.
DES TEMPLIERS. xlvîi
>> On nous a fait subir les épreuves cruelles
w Je divers genres de tourments.
» Un très grand nombre de chevaliers
» sont morts dans les tortures , ou des suites
» de ces tortures.
» Plusieurs ont été forcés de porter contre
V» eux-mêmes un faux témoignage, qui , ar-
» raclîé par la douleur, n'a pu nuire ni à
» eux ni à Tordre.
» Pour obtenir des aveux mensongers, on
» leur présentait des lettres du roi qui an-
» nonçaient que l'ordre entier était con-
» damné sans retoiu', et qu'il promettait la
» vie , la liberté , la fortune aux chevaliers
» assez lâches pour déposer contre l'ordre.
» Tous ces faits sont si publics et si no-
» toires , qu'il n'y a ni moyen , ni prétexte
» de les désavouer.
» Quant aux chefs d'accusation que la
» bulle du pape proclame contre nous , ce
» ne sont que faussetés, déraisons et turpi-
» tudes. La bulle ne contient que des men-
» songes détestables, horribles et iniques.
» Notre ordre est pur et sans tache. Il n'a
» jamais été coupable des crimes qu'on lui
5> impute, et ceux qui ont dit ou qiii disent
XLvm DES TEMPLIERS.
» le contraire sont eux - mêmes faux cliré-
» tiens et hérétiques.
» gotre croyance est cell e de toute l'Eglise;
»^ nous faisons voeu de pauvreté , d'obéis-
» sance , de chasteté et de dévouement mi-
» litaire pour la défense de la religion contre
» les inlidèles.
» ISous sommes prêts à soutenir et à prou-
» ver ^IJre innocence de cœurj de bouche
» et défait , et par tous les moyens possibles.
» Nous demandons à comparaître en per-
>y sonne dans un concile général.
» Que ceux des chevaliers qui ont quitté
» rhabit rehgieux et ont abjuré l'ordre , après
» avoir déposé contre lui , soient gardés fidè-
» lement sous la main de l'Eglise , jusqu'à ce
» qu'on décide s'ils ont porté un témoignage
» vrai ou faux.
» Quand on interrogera des accusés , qu'il
» n'y ait aucun laïque , ni personne qui
» puisse les intimider.
» Les chevaliers sont frappés d'une telle
» terreur, qu'il faut bien moins s'étonner
» s'ils font de faux aveux , qu'admirer le,
» courage de ceux qui soutiennent la vérité,
» malgré leur péril et lem s justes craintes.
DES TEMPLIERS. xlix
»£t n'est -il pas ëtonuaiit qu'on ajoute
» plus de foi aux mensonges de ceux qui ,
» pour sauver leur vie corporelle , cèdent à
» l'épreuve des tourments ou aux séductions
» des promesses, qu'à ceux qui pour la dé-
» fense de la vérité, sont mort s avec la palme
» du martyre, et à cette saine et majeure
» partie de chevaliers qui survivent , et par
» le seul besoin de satisfaire à leiu'C^H^iencc,
» ont souffert et souffrent encore ciiaque
» jour. »
Telle fut la sublime défense de ces braves
chevaliers !
J'ai déjà observé que les commissaires
du pape devaient se borner à informer
contre l'ordre', et ne pouvaient pas pro-
noncer la condamnation individuelle et
personnelle des chevaliers. Ce triste soin
fut délégué à des conciles provinciaux, à
des archevêques ou évèques, qui , chargés
d'agir contre les templiers, trouvèrent que
les accusés rétractaient leurs aveux, et que
ceux qui n'en avaient pas fait , persis-
taient dans leur dénégation. Ces nouveaux
juges en informèrent le pape. Il ne pouvait
ignorer que l'inquisiteur et ses délégués
t DES TEMPLIERS.
avaient cogimeiicé les procédures par Ja
torture préliminaire, et il se borna à ré-
pondre aux: archevêques et évêques queles
difficultés qu'ils proposaient se trouvaient
décidées par le droit écrit, dont la plupart
d'entr'eux étaient instruits , et que ne
voulant pas innover, quant à présent, il
exigeait qu'on procédât selon le droit (i).
- 11 était dans les principes de la justice et
de l'équité de recommencer la procédure
devant les nouveaux juges qu'on donnait
aux accusés. Mais on craignait que la plu-
part des templiers ne voulussent plus rien
avouer. Alors le pape écrivit à Philippe-
le-Bel , qu'il était de principe reconnu que
( 1 ) Dubitant etiam , q_uaUter sit contra pertinaces
et confiteri nolentes et contra illos qui suas confessio-
nes sponte factas revocant, procedendum ; super
quibus nostrae declarationis oraculuin postulârunt.
Cùm autera per jura scripta , quorum non nulles
vestrûm plenam sciinus liabere notltiam , liaec
dubia declarentur , et propterea nos ad pracsens non
intendaraus nova jura fiicere super illis , volumus in
praemissis juxtà juris exigentiam procedatis.
Datum Avenioni kal. Augusti , pontificatûs nostri
anno 4.
Leibnitz manûssajnr. diplQma.V. a p. 90*
DES TEMPLIERS. u
i'iiiformalion commencée par un jni^e supé-
rieur ne pouvait pas être terminée par un
juge subalterne , surtout quand il s'agissait
du pontife romain , auprès de qui réside la
•plénitude du pouvoir; mais que cependant
pour ne pas entraver l'affaire, et pour l'ex-
pédier plus facilement et plus promptement,
il consentait que dans les conciles provin-
ciaux on procédât de sa propre autorité,
<juand même cette manière de procéder ne
serait pas conforme au droit (i).
( I ) Ad dubitationem autem illam praslatorura et
inquisitorum eoruindetn, videlicet an contra illos vel
pro ei& de quibus alLas per nos extitit inquisitura in
pravincialibus conciliis sententiain terri possit ;
duxiinus respondenduin ; certum est enim qii6d de
jure non possunt. Explorati quidem juris est , nec
alicui venit in dubium quôd corara superiori judice
tneoiiala ininferiori judicio terminari non possunt ;
quomodolibet vel decidi prassertiin coram romano
incepta pontifice , pênes quein , lenitudo resldet po-
testatis. Tamen ne valeat intricari negotiuin, sed
feliciusetfacilius expediri et praesertim propterenor-
initatem tanti criininiset horribilitatem facinoris,
volumus quôd contra ipsos vel pro ipsis in eisdeni
conciliis auctoritate nostra pro,cedi raleat. ... Ita
tamen quodcanseeprœ dictée quie nos «lovent adid
4..
m DES TEMPLIERS.
Le pape décida aussi qu'il ne fallait ni
interroger ni informer de nouveau à Fégard
de ceux des accusés contre lesquels on avait
déjà fait des procédures.
Rien ne paraîtra plus monstrueux que
cette forme judiciaire , si ce n'est les juge-
ments qui en furent les résidtats en France.
Le pape avait exigé que l'on jugeât selon
le droit.
Le concile de Sens était présidé par le frère
d'Enguerrand de Marigni , ministre du roi.
Les informations contre les templiers ne
portaient uniquement que sur le mode de
réception des chevaliers.
D'après les statuts de leur ordre, le réci-
piendaire reniait -il Jésus-Christ? Crachait-il
sur la cioix ? Etait-il autorisé à la dépravation
des moeurs? etc., etc.
En supposant qu'ils reniaient Jésus-Christ,
on poursuivait les templiers comme héréti-
ques.
conredendum, etiara contra juris regulara, in senten-
tiis seu definitionibus expresse ponantur.
( Bjille inédite , da ClàmQnt K , déjà citée
'pag. LXI. )
DES TEMPLIERS. mi
Cependant s'ils faisaient des aveux et de-
mandaient pardon de leurs prétendus crimes,
ils cessaient d'être regardés comme héréti-
ques; on les réconciliait avec l'église.
Par le jugement du concile de Sens (i),
les chevaliers qui avaient fait des aveux et
qui y persistaient, furent déclarés innocents
et mis en liherté.
Ceux qui n'avaient jamais avoué la préten-
due hérésie, qui n'avaient point d'aveux à ré-
tracter, et soutenaient constamment la vali-
dité des réceptions;, furent condamnés à la
prison : ils restaient non réconciliés.
Quant aux auti-es qui dirent à leurs juges:
( 1 ) Quidam autem , vestibus illius religionis
abjectis et secularibus absuinptis, sunt absoluti et
llberi demissi.
Nain illi qui praefatos casus énormes de se et
de aliis publiée confessi sunt etpostea negàrunt, velut
prolapsi combusti sunt.
Qui autem nunquam voluerunt fateri in carceribus
detinentur.
Qui ver5 prima confessi sunt et semper confiten-
tur, pcenitentes efveniam postulantes, liberi sunt
dimissi.
( Joann. canonic. S ti. -Victoria. )
riv DÉS TEMPLIERS.
« Nous avions cédé à la donJeur des tortures^
» mais nous avons révoqué , nous révoquons
»> îes faux aveux qui nous avaient été arra-
» chés ;» le concile décida que, d'après leurs
jT^'èniiers aveux, ils s'étaient reconnus héré-
tiques ; que rétracter leurs aveux, c'était re-
lomiber dans leurs premières erreurs , rede-
venir hérétiques, et conséquemnient être
relaps.
Comme hérétiques et surtout com^me re-
laps, ils furent condamnés à être brûlés, (i):
Et ils le furent.
Et ils monrtrrerit du moins en martyrs de
îa vérité, de 'la vei*tu et-de la religion.
( 1 ) Que j'aime à pouvoir opposer à l'injustice de
ce jugement , la'sagesse clé'la décision du concile dé-
Ravènes , qui pensa au contraire avec raison que
^ëeux des accusés qui révoquaient les aveux alrra chés.
par lés tortures devaient être aTjsoùs!,
Communisententiâ decretum est, innocenties ab-<
solvi Intelligi innocentes debere , qui inetu
tormentorum confessi fuissent ; si deinde eaià
coiifessionerarevocassent: autrevocare, liujusmodi
tormentorum metli , ne inferrentur nova , non fuis-
sent ausi ; dum tamen id constaret.
( Harduin concil.gêhetdî. t.^p. ■iSiy.)
I>ES TEMPLIERS. lv
La prévention et l'ignorance ont seules pu
avancer que les templiers avaient été punis
justement, et punis pour leurs crimes. On
voit que les chevaliers qui eurent la làclieté
de se reconnaître coupables furent absous ,
et qu'on ne condamna au feu que ceux qui
rétractèrent leurs aveux.
Qu'on n'oublie jamais cette différence
dans les jugements des conciles povinciaux.
11 serait inutile et fastidieux de nous arrê-
ter sur les autres jugements de proscrip-
tion.
Au lieu d'exciter l'indignation contre quel-
ques tribunaux qui ne sont coupables, peut-
être, que d'avoir cédé à l'espiùt de leur siècle
et aux instigations des ministres du pape et
<lu Toi , j'aime mieux reposer mes regards
et ceux du lecteur siu* les témoignages gé-
néreux que les templiers, soit en France,
soit en pays étranger, eurent la gloire de
rendre à la vérité , et sur la justice que plu-
.sieurs de leurs juges eiu'ent la vertu de leiu:
accorder.
Outre les chevaliers qui, en France, osè-
rent se déclarer lesdéfenseurs del'ordre, etle
grand nombre qui furent condamnés à la pri
Lvi DES TEMPLIERS.
son perpétuelle pour n'avoir jamais fait d'a-
veux , on peut citer honorablement ceux de
Metz, qui soutinrent toujours Finnocence
de l'ordre , et qui ne furent pas punis de lein^
courage.
Dans le comté de Roussillon, ils n'avouè-
rent aucun des chefs d'accusation.
On croit qu'en Bretagne et en Provence
ils furent condamnés à mort, mais ils ne se
reconnurent pas coupables.
A INismes, il y eut deux enquêtes : les oÉe-
valiers interrogés dans la première , refusè-
rent de faire les aveux qu'on exigeait
d'eux, (i)
A Bologne et à Ravènes , en Italie, ils
furent absous par les conciles.
En Arragon , après être sortis victorieux
des tortures, ils furent absous par les conci-
les de Salamanque et de Tarragone.
En Chypre, ils se livrèrent d'eux-mêmes
à la justice, quoiqu'ils fussent armés, puis-
sants et nombreux. 11 paraît qu'ils échappè-
rent à la proscription.
( 1 ) Catalogne des manuscrits de Baîiize ,
j}, 525.
DES TEMPLIERS. lvu
En Allemagne , ils se présentèrent en nom-
bre et en armes au milieu du concile de
Mayence : (|uarante-neuf témoins déposè-
rent en leur faveur. Les pères de ce concile
s'empressèrent de reconnaître leur inno-
cence.
11 ne paraît pas qu'en Angleterre ils aient
été condamnés à mort; il nous est parvenu
près de cent dépositions des chevaliers an-
glais, et presque toutes s'accordent à sou-
tenir la légalité des réceptions, à attester la
vertu de l'ordre et des chefs , et à nier ex-
pressément que l'on crachât sur la croix , et
♦qu'on autorisât la dissolution des moeurs,
lors de ces réceptions (i).
Cette diversité de jugements prononcés
par les différens conciles est une circons-
tance frappante, qui seule suffirait pour
prouver l'injustice de la condamnation des
chevaliers du Temple.
En effet , pour quels crimes les poursui-
( 1 ) RvTnsr . A 5.
Nova cdilio conciliornm magnœ Briiannice ,
t. 2.
Monasticum. anglicanum , t, z.
xviii DES TEMPLIERS.
vait-on ? pour appartenir à un ordre qui ,
lors de la réception des chevaliers , faisait
une loi de l'impiété et de la dissolution des
moeurs. C'était, selon les accusateurs , un
«tatut fondamental auquel tous les récipien-
daires étaient soumis.
'. Si dans plusieurs pays les chevaliers ont
€té absous , il est éviderït que l'on y jugeai-t
<jue le statut n'existait pas , et s'il est ainsi
•prouT-é (juridiquement qu'il n'existait pas
pour les chevaliers étrangers, il faut alors
joindi^ à l'absurdité et à l'invraisemblance
de l'accusation , l'absurdité et l'invraisem-
J>lance plus grandes encore que le statut
n'existait que pour les chevaliers condamnés
ffin France.
Le concile de Yienne avart été assemblé
pour prononce r sur le sort de l'ordre. Une
•foule (fe templiers proscrits étaient errants
ou réfugiés dans les montagnes voisines de
I/J'^OH.
Ce fut sans doute une résolution coura-
geuse et louable que celle qu'ils prirent
d'envoyer des députés par-devant ies pères
du concile de Yienne , pour y plaider la
cause de la vertu et du malheur. Les bûchers
I>ES TEMPLIERS. lis
fumaient encore ; les oppresseurs veillaient
toujours sur lesprosorits ; la haine n'était pag
encore assoirvie ; n'importe : ils écoutent ce
noble et généreux désespoir qui sied quel-
quefois à la vertu dans des occasions extraor-
dinaires cf solennelles.
Au moment même où on lisait devant le^
pères du concile de Vienne les informations
faites contre Tordre , paraissent tout à coup
neuf templiers , qui offrent de prendre la
défense de cet ordre opprimé.
C'était leur droit. Un concile était convo-
qué contre eux : les maximes de la religion et
de la justice exigeaient qu'ils y fussent en-
tendus • puisqu'on devait prononcer sur leiu*
sort , leur fortune , leur gloire et leur répu-
tation de probité , d*honneur et de catho-
licité.
C'était leur devoir, tes autres chevaliers
le leur avaient légué- du milieu dès toi'tures
^t du 'haut des bûchers, où leur dernier sou-
pir avait attesté leur innocence et celle de
i'ordre.
'Ces neufs chevaliers sont introduits.
Ils exposent franchement et loyalement
1*objet de leur mission.
Lx, DES TExMPLIERS.
Ils se disent mandatâmes de quinze cents
à deux mille chevaliers.
Ils s'étaient présentés d'eux-mêmes sou»
la sauvegarde de la bonne foi publique.
Leurs malheurs et leurs proscriptions
étaient des titres respectables , surtout de-
vant les pères et le chef de Féi^lise.
Une grande discussion allait s'engager.
Le concile seul n'en eût pas été juge : l'Eu-
rope, la chrétienté , le siècle, la postérité
auraient eu à ratifier ou à condamner le ju-
gement du concile.
Que fit Clément Y ?
11 m'en coûte de le dire. Mais je dois la
vérité à la mémoire de tant d'illustres vic-
times , au siècle présent , aux vertus mêmes
de ces pontifes et de ces prêtres qui , dans des
temps plus heureux, font oublier jles erreurs
de ceux qui les ont précédés ; je dois révéler
un secret caché jusqu'à ce jour.
Clément Y fit arrêter ces généreux che-
valiers ; il les fit jeter dans les fers , et il se
hâta de prendre des mesures contre le déses-
poir des proscrits dont il traitait ainsi les
mandataires. Il augmenta sa garde, et écri-
vit à Philippe -le- Bel de prendre lui-même
DES TEMPLIERS. i.xi
(les précautions , en lui donnant ces détails
que l'histoire aurait peut-être ignorés à ja-
mais , si les circonstances ne m'avaient im-
posé la loi de les publier (i).
Le concile de Vienne était composé de
trois cents évëques , sans compter les abbés
et prieurs , etc.
Ou conçoit aisément que ce procédé vio-
lent de Clément V , ce déni de justice scan-
daleux excitèrent leur indignation.
La lecture des informations prises contre
les templiers ne leur offrit point des preuves
suffisantes pour les condamner, et d'ailleurs
pouvaient - ils ignorer par quels moyens
coupables on était parvenu à se procurer
des dépositions ( 2 ) ? Pouvaient-ils accor-
(1) Yoyei la lettre de Clément Va Philippe-le-Bel,.
avec la tradaction , parmi les Pièces justifi-
catives.
{2) La plupart des témoins qui trahissaient leur
ordre étaient frères servants , inférieurs aux che-
valiers. ( Guillamne de Tyr, l. 12. ch. 27 parlant,
des chevaliers Equités , nomme les autres fratres
inferiores <]iii dicunturservientes.)
Ce n'est point le moment de discuter les 201 dépo-
ixïi DES TEMPLIERS.
der quelque confiance à une informatio*! ^
lors de laquelle on avait négligé d'interroger
l'immense majorité dés chevaliers, qui,
comme accusés, avaieutle droit incontestable
et sacré de donner ÎAdividuellement leurs
moyens de défense, ou de paraître en per-
sonne devant le concile?
. Aussi , tous les pères de ce concile , hors
sitîons, je me borne a transcrire le jugement qu'en a
porté M. Moldenhawerqui a traduit et fait impri-
iner en allemand le processus contra templarios.
. <,< Mon travail , dit-il dans sa préface , p. i5 , m'a
» souvent suggéré des observations , sur la conduite
» des commissaires et des chevaliers qui étaient ou
» défenseurs ou accusateurs de l'ordre , sur la
b') marche du procèls, qui par l'interruption la plus
>» noire, la plus infâme , et préparée avec une astuc«
i» inouie , s'éloigna absolument de la direction qu'on
»» avait d'abord annoncé vouloir lui donner ....
» sur l'espiit du temps qui se fait si Souvent recon-
» naître par les traits les plus frappants . . . .Pour
» le moment je ne publie que les actes tels qu'on les a
>» présentés, au pape et aa concile de Vienne. Les
W voiîà au iour après un laps de prés de cinq siècles.
» Que l'homme impartial prononce entre les accusés,
les accusateurs et les juges. » ( Proctss gegen den
orden des cempelherren, hamtfurg 173».
DT.5 TEMPLIERvS. iaii^
un Italien et trois Français, décidèrent -ils
qu'on devait, avant tout , entendre les tem-
pliers accusés.
Celte délibération, commandée par les
lois de la relit^ion et dfe la justice , ne pouvait
qu'amener des résidtats qui' duraient con-
trarié les projets du pape , de Philippe le bel «
et des autres roisqui voulaient disposer des
biens des templiers ; mais le pape essaya vai-
nement de fléchir la résistance équitable et
courageuse des pères du concile. 11 fut ré-
duit à éluder l'autorité sacrée qu'il avait in-
voquée lui-même ; et, contre le droit et l'au-
torité des pères du concile, malgré leur dé-
cision impéralive , il prononça, en consis-
toire secret, l'abolition provisoire de l'oi-dre.
Le devait-il?
■ Le pouvait-il ? ^
Il serait aisé de répondre à ces questions.
Mais qui élèverait encore des doutes sur l'in-
justice de la proscription de cet ordre, et
sur la barbarie du supplice de tant de che-
valiers, et de leur illustre chef, Jaccpies de
Molay?
J'ai dii justifier Tordre , avant dem'occu-
per de c« brave et vertueux chevalier.
Miv DES TEMPLIERS.
Il était né en Bourgogne, de la famille des
Sires de Longvic et de Raon. Molay étaitune
terre du doyenné de Neublant, au diocèse
de Besançon.
Reçu chevalier, vers l'an i2^5, il s'était
fait connaître à la cour de France , où il fut
toujours traité avec distinction. Il avait eu
3'lionneur de tenir sur les fonds de baptême ,
Robert, quatrième fils de Philippe-le-Bel.
Jacques de Molay était absent , quand il
fut élu grand-maître à l'unanimité (i).
Appelé en France par le pape, Jacques
de Molay arriva avec un cortège de soixante
chevaliers; il fut bien accueilli par le pape.
Ayant appris que les ennemis de l'ordre
répandaient sourdement quelques calom-
nies, le grand-maître retourna auprès du
pape , et demarilla lui-même que la conduite
de l'ordi^e et des cbevalicrs fût examinée.
( 1 ) Por conforinidade de votos salilo eleko
Jacobo de Molay.
Coino fora eleito ausente séria recebido com gran-
des acclainar.oens e com bein fundadas esperanras.
Ferreîra. ( Meniorias e noticias Jnstoricas da
célèbre ofdem niilitar dos cemplarios ; Lisboa.
1735 Ai du Slip. p. 688. )
DES TEMPLIERS. txv
Celte confiance était permise à sa vertu.
Il paraît que le grand-maître jouissait
d'une grande réputation de probité et de
bonnes moeurs.
I/aniilié et les distinctions honorables
qu'il avait obtenues de Philippe-le Bel, les
égards du pape ^«l'attestation du roi d'Angle-
terre ne laissent aucun doute à ce sujet.
J'invoquerais encore le témoignage même
de ses persécuteurs. On ne lui a jamais im-
puté aucun de ces crimes honteux, aucune
-de ces dissolutions infâmes, qu'on sujiposait
être autorisées par les statuts de l'ordre.
Cet hommage tacite de ses ennemis , est
aussi honoi-abîe qu'authentique.
Ce chef l'cspectable d'un ordre proscrit ,
fut jeté inopinément dans les fers, avec les
cent trente-neuf chevaliers qui l'entouraient
à Paris. L'épreuve des tortures, les menaces
de l'inquisiteur, la certitude que les cheva-
liers seraient condamnés à mort , et qua
l'ordre serait détruit si on ne cédait pas ino-
menlanément aux projets du roi , le désir
peut être pardonnable d'épargner le sang
des victimes , l'espoir de s'entendre avec le
pape et d'appaiser le roi , purent le faiie
5
txvi DES TEMPLIERS.
condescendre à un aveu niomenlané , qui
portait avec lui-même sa rétractation, tant
il était invraisemblable par son absurdité et
par son ridicule. J'admets donc, puisque
je le trouve écrit dans l'interrogatoire de l'in-
' qulsiteur, et dans quelques historiens du
témj s , que le grand-maître^vait d'abord ré-
pondu que , lors de sa réception , il y)romit
d'observer les règles et les statuts de l'ordre ;
qu'ensuite on lui présenta une croix où était
la ligure du Christ; qu'on lui ordonna de le
renier, et qu'il le renia malgré lui; et enfin
qu'invité à cracher dessus, il avait craché à
tc«Te, et une seule fois.
Dès que le grand-maître connut que l'aveu
qu'on avait exigé de lui , loin d'amener un
arrangement en faveur de l'ordre, pouvait
servir de prétexte à de nouvelles injustices
et à de cruelles diffamations , il se hâta de
donner l'exemple de la rétractation.
Oui, cette rétractation du grand- maître
devança celle de tout autre chevalier. Ce
fut de la part du chef de l'ordre un rappel
courageux aux principes de l'honneur et de
la vérité.
Elle fut peut-éti'a plus utile à la cause du
DES TEMPLIERS. lxvii
mallieur et de la vertu, que ne Tauraieut été
st s dénégatious continuelles.
Elle rassura -la constance des chevaliers
qui n'avaient jamais fait d'aveux, et surtout
elle apprit aux faibles qui, en cédant aux
tournienfs , à la crainte, à la séduction,
étaient déchus de l'honneur , qu'ils pouvaient
encore retourner à leur devoir.
Ainsi l'exemple et le signal du grand
maître préparèrent la vertu stoïque et chré-
tienne de tant de victimes, qui rétractèrent
ensuite leurs aveux , et périrent glorieuse-
nient pour les ayoir rétractés.
Si Jacques de Molay tomba dans une pre-
mière erreur, cette erreur devint donc jiour
lui-même, et pour de dignes chevaliers, lu
sujet d'ime gloire nouvelle.
49/ non crrasset, fecerai iUei jniniis.
Sans cette erreur , peut-être il paraîtrait moins graniî.
Que le grand-maître ait été le premier à
se rétracter, c'est ce dont il n'est p^s permis
de douter, d'après le mémoire, qu'on trouve
au trésor des chai très , indiqué sons le tijre:
txviii DES TEMPLIERS,:
Mémoires où sont résolues, diverses ques-
tions toucliant les templiers (i).
Dans ce mémoire, on observe qu'il avait
( 1 ) Ce rouleau manuscrit N®. Sa da carton ,
mélange , tertipliers , N^. i , parait avoir été coupé
dans la partie supérieure où étaient exposés les faits
qui donnaient lieu aux questions sur lesquelles lé
conseil prononce. II ne, reste donc que les réponses.
JEilles apprennent que legrand-inaitres'éfait rétracté^
peu de tems après ses pre.miers aveux, elles supposent
qu'il avait ensuite renouvelé ses aveux et elles an-
noncent cependant la crainte qu'il ne persiste dans
sa rétractation. Dans cet écrit qui est' antérieur ait!
voyage de Chinon , le conseil du roi décide y i". que
l'on dnit s en tenir au premier aveu , 2P. que l'on ne
doit point accorder de défenseur : (,< à quoi bon
ii donnerait-on un défenseur, si ce n'est (et le ciel
>> en préserve ! ) pour défendre les erreurs des tem-
>> pliers , qui sont si évidentes par elles-mêmes? c'est
» pourquoi l'église tiendrait lieu de défenseur, si
>> elle voyait qu'il y eût lieu de défendre les accusés ;
>> mais il n'y a aucun moyen en leur faveur. » —
Atquid ergo dabitur defensor ? iiisi , quod absit , ad
templariorum defendendos eriores,cùinreievidentia
reddat rem notoriam ; proptereâ ecc lesia ipsa locum
obtinet defensoris , si vidi^set quod lociis posset esse
defensioni , cùm tairien nulius sit.
DES TEMPLIERS. tx'ix
rétracté; on ajoute qu'il avait paru reve-
nir à ses premiers aveux, on craint qu'il ne
persiste dans sa rétractation.
Le conseil répond qu'il faut s'en tenir aux
premiers aveux.
Cette décision était antérieure au voyage
de Chinon.
Il est évident que depuis sa première ré-
tractation , le 2;rand maître y a toujours per-
sisté; s'il eût varié, on n'aurait pas manqué
d'en constater la preuve, et il est aisé de dé-
montrer qu'il ne lit plus d'aveux devant les
légats du p^pe, qui osèrent cependant se
vatiter de les avoir obtenus.
■ Ce point historique mérite qu'on s'y arrête
un instant. f
Les conseils du roi crurent nécessaire de
faire comparaître par-devant le pape, plu-
■^ sieurs chevaliers qui avouassent les crimes
dont ils étaient accusés. Il n'était pas diffi-
cile d'en choisir un certain nombre , vaincus
et subjugués par la crainte, ou séduits par
les promesses et les bienfaits.
On en trouva soixante-douze dans la mul-
- tilude des proscrits; on aurait pu vraisem-
blablement eu trouver davantage, mais le
Lxxn DES TEMPLIERS.
lay, Hugues d* Përaido et d'autres chefs
avaient fait des aveux.
Le pape, de son côlé, s'en prévalut poiu'
ordonner la |X>ursuite de tous les templiers
dans toute la chrétienté.
Mais lorsque le grand-maître parut par
devant les commissaires qui prirent , à Pa-.
ris , l'information contre l'ordre , il nia avec
indignation d'avoir fait , à Chinon , les aveu:jç
qu'on lui prétait, et il demanda de paraître
devant le pape (i).
La seule dénégation du grand-maître , apr
puyée de toutes les circonstances que j'ai
déjà relevées , sur ce qu'oi> avait empéchç
son entrevue avec le pape , suffirait peut-
être pour coi^ vaincre l'honnne impartial,
ou que les cardinaux avaient attesté une
fausseté, ou , ce qui est peut-être plus vrai-
semblable , que les agents de Pbilippe-le-
Bel avaient présenté xi'autres individus , ce
qui était très-facile; le grand-maître n'étant
vraisemblablement pas connu des cardi-
naux , n'entendant pas la langue latine dans
î) Processus contra templarios.
DES TEMPLIERS. i.xxm
laquolle on rédigeait Ja procédure (i), et
les formes de ce temps- là n'exigeant point
la signature des accusés. #
Mais il me paraît d'ailleurs prouvé d'une
manière authentique et incontestable , que
le grand - maîtr^e n'a pas fait cet aveu à
Chinon.
Plusieurs bulles adressées par le pape aux
divers rois, princes et prélats, et qui an-
noncent les prétendus aveux du grand-maî-
tre faits à Chinon , sont du 2 des ides , date
qui répond au 1 1 août.
Dans toutes ces bulles, Clément Y parle
de l'interrogatoire qu'il suppose fait . anlér
rieurement par les cardinaux commissaires
apostoliques, et ose se prévaloir des aveux
( i) On était obligé de traduire devant lui en langue
vulgaire les interrogatoires et de traduire en latin ses
réponses. — In confessionibus ipsis eis lectis et in
inalerna linguà expositis. ( Spicileg. Dachcrii
t. lo ;p.356, 1=. edit.)
Eis lectas fuerunt de mandate et in préesentia rar-
dinalium dictorum in suo Tulgari expositae cuilibet
eoruuidein. ( Bulle de Clément V^ du 2 âes ides
d'août ^ anZ de son pontificat. )
Lxxiv DES TEMPLIERS.
du i^rand-maître et des autres chefs de Tor-
dre , pour anuer l'opiaion publique contre
lés malheureux templiers.
Rien de plus certain cependant qu'à cette
époque du 1 1 août , le pape ne pouvait an-
noncer ces aveux , puisque par la lettre que
les commissaires apostoliques écrivirent au
roi, ils attestent qu'ils ont entendu le sa-
medi après la fête de l'Assomption (i5 août),
quelques-uns des chefs de l'ordre , et le di-
manche suivant le grand-maître.
Ces commissaires ajoutent que les lundi
et mardi d'après, ils ont de nouveau en-
tendu Hugues de Péraldo et le grand-maître.
Leur lettre au roi est datée du même jour,
mardi après l'Assomption.
11 est donc évident que le 1 1 le pape an-
nonçait les aveux du crand-maître et des
autres chefs, avant même qu'ils eussent été
interroses.
Cette contradiction est si frappante et si
démontrée, qu'il n'y a aucun moyen de
l'expliquer qu'en reconnaissant que l'inter-
rogatoire n'a jamais existé , et que les fourbes
qui ont trompé à cet égard et le pape et Phi-
i ippe-le-Bel, ont eu autant de malachesse que
DES TEMPLIERS. L^xv
(le n\échanceiè.AIen/ita estinlquitas sihi{^ i ).
De nouvelles considérations forlitient en*
coi'e les précëclentes.
Dans la supposition des aveux, le ^pe
annonça que les cardinaux , après que W.
grand-maître et les précepteurs eurent alîjn-
rë riiérésie, leur avaient accordé, d'après
leur demande, l'absolution selon la forrae
tle l'église (2).
Les cardinaux , en écrivant au roi, lui de-
(i^ Une autre circonstance remarquable touclirait
l'interrogatoire de Chinon,c"est que d'après les lettres
du pape et celles des commissaires eux-mêmes, on
suppose que les cliefs de Tordre furent interrogés p.jr
truis cardinaux , et par sa lettre du 5 juillet an 5 de
son pontliicat , rapportée dans le ( Spicilr'ginjn ,
DacJierii , t. 10 , p. 556, 1^. édit. ), Clément V
annonce que ces commissaires étaient au nombre de
cinq. Il joint aux trois autres révéque de Préneste et
Pierre Colonne.
(2) Ab ipsis cardinalibus . ab excommunicatione
quam pro proe missis inc urrerant , absolutionem , Jiexis
genibus, manibusque compb'catishumiliteretdeTotè
ac cumlacrymarum effusione non modica,petieruht.
Ipsi verô cardinales , quia ecclesia non claudit gré-
miura redeunti, ab eisdem inagistro etpraeceptoribus,
liœresi abjuratâ expresse, ipsis , secundùra formam
Lxxvi DES TEMPLIERS.
mandèrent qu'il traitât avec bonté le grand*
maître et les autres chefs.
Et cependant il est prouvé par les pièces
mêmes de la procédure , que quand le grand-
maitre comparut à Paris par-devant les com-
missaires apostoliques , il était dans le plus
grand dénuement; il se plaignait hautement
de n'avoir pas quatre deniers qu'il put dé-
penser pour la défense de l'ordre , ou pour
tout autre objet. 11 demanda de pouvoir
entendre la messe et les offices divins. Il
s'obstina à requérir plusieurs fois d'être au
plutôt présenté au pape pour justifier Tordre
devant lui.
Si le grand-maître eût fait à Ghinon les
aveux qu'on suppose , peut on douter qu'il
p'eùt aussitôt recueilli le prix de sa complai-
sance ? l'aurait-on laissé dans une prison et
dans un état indigent ?
S'il avait été réconcilié avec l'église, au-
rait-il été réduit à la nécessité de demander
aux commissaires apostoliques la permission
ecciesiae , autoritate rosti-à absolutionis benefioium
iinpenderunt. ( Bulle de Clément T^, % des ides
4'aQiu an 5,}
DES TEMPLIERS. lxxvii
d'assister à la messe et aux offices divins (i ) ?
: Enfin, s'il eûl fait les aveux qu'on supjio-
sait , aurait-il osé demander de paraître de-
vant le pape et ces mêmes cardinaux?
Puisque le grand-maître était dans un état
d'abjection et d'abandon , puisqu'il était pri-
(i) Les templiers qui , par les aveux qu'on exi-
geait d'eux, méritaient la faveur d'être réconciliés
âvecréglise , avaient lors même qu'ils étaient encore
détenus prisonniers , l'avantage de participer aux
secours spirituels. Voici une quittance, de dépense
faite pour douze templiers réconciliés , détenus à
Sentis.
» A touz c^ux qui ces lettres verront et oiront, Ro-
>> bertde Paftnentier^ garde du ceel de la prévosté
>» de Senlis , Salut. Sachent tuit que pardevant nous
>> vient en présent Guillaume de Glarengui , garda
>î de douze templiers réconciliés à Yillers St.-pol >
» en la meson de i'cibé Dauchi . . . . reconnut avoir
» eu et reçu de Renier de Creel, commissaire des
» biens du temple en la baillie de Senlis . . . . et
>> pour le prêtre qui chante les messes au dis teni-
yi pliers trois fois la semaine unt souz...
DoNÉ l'an mil ccc dis au mois de frévrier la veille
de la Chandeleur. »
La pièce originale en parchemin se trouve dans la
collection des manuscrits de M. de Gaignieres à U
bibliothèque impériale.
Lxxvm DES templiers:
ve des secours spirituels , n'est-il pas évident
que c'était à sa rétractation constante qu'il
devait un pareil traitement?
Non,, cela ne peut plus être l'objet dVni
doute. J'ai cru nécessaire d'y insister pour
l'instruction de la postérité , bien ])lus encore
que pour l'honneur delà niémoiredc Jacques
de Molay : car dut-on admettre quelque fai-
blesse ou quelque erreur dans le cours de
ses revers et de sa vie , sa mort seule suffirait
à sa gloire.
Le conseil du roi avait décidé que nonobs-
tant la rétractation du grand-maitre , il fal-
lait s'en tenir à son premier inteii|?ogat.
Le papp lui-me'Tne avait décidé qu'il nç.
fallait pas interroger de nouveau, ni exposer
à des rétractations les accusés qui avaient
déjà fait des aveux.
Ainsi , malgré la rétractation du grand-
maître, après l'interrogatoire du Temple,
malgré le dénienti formel et judiciaire qu'il
avait donné aux cardinaux, qui supposaient
de nouveaux aveux faits à Cbinon, on juge*
le grand -maître, comme si le dernier état
des choses eût été de sa part un aveu des
crimes imputés à l'ordr^cCt aux élievaliers.
DES TEMPLIERS. lxxix
ChacuD connait la.niaaicre dont se ter-
mina son procès. Le pape s'était réservé de
prononcer sur les chefs de Tordre. Les car-
dinaux publièrent , dans le parvis de l'église
de Notre-Dame, un jugement qui , suppo-
sant que le grand-maître avait fait des aveux
et qu'il y persistait , le condamnait à la pri-
son perpétuelle.
Le grand-maître et l'un de ses compa-
gnons , au grand étonnement des nombreux
assistants, proclamèrent alors la rétractation
de leurs aveux , en s'accusant du seul crime
de les avoir faits,
Les cardinaux , étonnés , confièrent ces
deux prisonniers au prévôt de Paris , pour
les garder jusqu'au jour suivant , où ils s«
proposaient de statuer.
Le roi apprenant cet événement , convo-
qua aussitôt un (Conseil, où n'assista aucun
ecclésiastique, et il fut décidé que le grand-
maître et les chevaliers seraient brûlés sur
le champ (i).
(i) Publicède mandato régis Franciaa exiititcom-
bustus; qui tamen cum concilie praelatoru m et perî-
toruin ad aliam pccnitentiaiTi peragendam piiùs
fuerant condemnati. Nam Philippus rex ï^rancii»
Lxxx DES TEMPLIERS.
On voudrait en vain excuser cet acte
atroce.
Le pape ayant ordonné le jugement du
grand-maître , et la sentence ayant été pro-
noncée pul)liquement et légalement, il n'ap-
partenait plus à aucune puissance de la
terre de changer le sort des condamnés.
La proclamation que le grand- maître fai-
cùm consilio suonoluit pati quùd, propter revocallo-
nem confessionis suae quara prius fecerant, dictus lua-
gister militias templi et njulti alii sui ordinis . évadè-
rent mortem temporalein , nuUo tamen super lioc
judicio ecclesiastico convocato, neque ipso expec-
tato. ( V^ita démentis P^. autore ^dmalrico ^lu~
gerii de Biterris. )
Et dum a cardinalibus in manu prsepositi pari-
siensis , qui praesens tune adeiat , ad custodiendum
duntaxat traduntur j quousque die sequenti delibera-
tionera super iis haberent pleniorem . conf'estim ut
ad aures régis, qui tune erat în regall palatio ^ lioc
vefbum insonuit, communicato quainvis providc?
cum suis , clericis non vocatis, prude uti consilio ,
cirea vespertinam lioram ipsius diei , in parvâ qiiâ-
■dam insulâ Sequanâ inter hortutn regalem , et ec-
clesîam fratrum heremitarum positâ , ambos pari
incendie concremari mandavit. • ■nd
[Conunuat.cJironic. Guillelmi Nangii.}
DES TEMPLIERS. rxxxi
sait de sa réti^actation antérieure publique et
judiciaire , n'autorisait point à aggraver là.
peine. *
D'ailleurs , c'était auxi seuls juges qiii
avaient déjà statué;, qu'il eût appartenu de
statuer encore. Aussi les commissaires apos-
toliques avaient-ils renvoyé au lendemain.
Le conseil assemblé par lé roi devança leur
décision et se chargea lui seul de l'odieux
d'un supplice ordonné contre toute justice ,
contre tout droit, contre toute forme.
Le grand-maître monta com^ageusement
sur l'échafaud; il mourut en chevalier chré-
tien , en héros martyr.
Son innocence , celle de son ordre et de
ses chevaliers ne sont plus révoquées en
doute , ne peuvent plus l'être (i).
(i) Le grand Arnauld n'avait pas^ hésité de les
croire innocents; il avait même osé faire de la cons-
tance des templiers un argument en faveur des ca-
tholiques, a II n'y a presque personne qui ne croie
« maintenant que les templiers avaient été fausse-
» ment accusés de faire faire des impiétés , des ido-
« latries , et des impuretés à tous les clievaliers qu'ils
» recevaient dans leur ordre , quoique ceux qui les
« ont condamnés l'aient pu faire de bonne foi , parce
6
txxxii DES TEMPLIERS.
La justice des siècles est,eufiii armée poui-
eux.
» qu'il y en eut plus, de deux cents qui ravouaient ,
» et à qui on donnait grâce à cause de cet aveu ; mais
M parce qu'il y en eut aussi , quoique moins en nom-
» bre , qui aimèrent mieux être brûlés que d'avoir
» leur pardon , en reconnaissant ce qu'ils disaient
y> être faux ; le bon sens a fait juger que dix hommes
» qui meurent , pouvant ne pas mourir en avouant
m les crimes dont on les accuse, sont plus croyables
» que cent qui les avouent, et qui , par cet aveu , ra-
» cliètent leur vie ».
( Apologie pour les cathoU^itss , 1681 , A 1 j
p. Z60. ) »
LES TEMPLIERS,
TRAGÉDIE.
«..
DECORATIONS.
' Le théâtre représente une grande salle du palais
du Temple. On y voit des trophées d'armes, les ta •
bleaiix des batailles des cnevaliers , et les statues
de huit grands-maîtres :
V®. Grand-maître. Bertrand de Blanquefout.
VI. Philippe de Naplouse.
VII. Odon de St.-Amand.
XI. Robert de Sablé.
XII. — — ~-— — — Guillaume de Chartres.
XV. ' Pierre de Montaigc.
XVI, Armand de PÉrigord.
XX. ■ ■' ' Guillaume de Bsaujeu.
(L'action se passe à Paris , en octobre iSoj.)
PERSONNAGES.
PHitipPÈ-LE-BEL, roi de France.
JEANNE DE NAVARRE, reine
de Navarre et de France.
GAUCHER DE CHAÏILLON ,
connétable.
ENGUERRAND DE MARIGNI,
premier ministre.
MARIGNI, son fils.
GUILLAUME DE NOGARET,
chancelier.
JACQUES DE MOLAY, grand-
maître des templiers.
PIERRE DE LAIGNEVILLE.-)
GUILLAUME DE MONTMO-
RENCY.
JEAN DE BEAUFREMONT.
JEAN DE VILLENEUVE.
PIERRE DE VILLARS.
GILLONDE CHEVREUSE.
FOULQUES DE TRÉCY.
Un officier du roi.
Snite et gardes du roi.
M. Lafond.
M"^. Georges.
M. Damas.
M. Baptiste aîné.
M. Talma.
M. Desprez.
M. Saint-Prix.
î^'"- M. Lacave.
puers.
Autres templiers.
Personnages mnets.
M. Varenke.
LES TEMPLIERS.
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
LE MINISTRE, LE CHANCELIER.
LE MIIflSRE.
Illustre chancelier, le roi que je devance.
Veut que dans ce palais j'annonce sa présence.
Vous savez son dessein : avant la fin du jour
Un grand événement étonnera la cour.
LE CHANCELIER.
Ministres l'un et l'autre , il faut que notre zèle
De Philippe outi-agé défende la querelle.
Ces fameux chevaliers qui , s'égalant aux rois ,
Remplissaient l'Oiient du bruit de leurs exploits,
Qui dans toute l'Europe, et surtout dans la France.
Etalaient leur orgueil , leur faste, leur puissance,
6 LES TEMPLIERS,
Les templiers , enfin ^ ne peuvent échapper
Aux coups dont le monarque est prêt a les frajJper
S'il faut les accuser, je l'oserai moi-même :
L'intérêt 4e l'état sera ma loi suprêjne,
LE MINISTRE.
Leur pouvoir, de grands noms, de perfides bienfaits,
Attachent k leur sort la plupart des Français ;
De nombreux courtisans, même le connétable.
Forment aux templiers un parti i«doutable.
Plus d'une fois la reine a prodigiié pour eux
Un crédit tout puissant, des soins trop généreux;
Sans doute elle voudra protéger le grand-maître :
Oui , les plus grands dangers nous attendent peut-être;
Mais vous me connaissez, comptez toujours sur, moi
Contre ces ennemis de l'état et du roi.
Quoi ! leur coupable audace est encore impunie !
fis vivent étrangers dans leur propre patrie.
Ils se sont affranchis des tributs solennels
Que partout les chrétiens acquittent aux autels.
Riches de nos bienfaits, mais possesseurs avides,
Ils repoussent loin d'eux le fardearf des subsides.
Dangereux eimemis et perfides sujets ,
Sans cesse ces guerriers formaient d'affreux projets }
ACTE I, SCÈNE I. 7
Et s'ils ont quelquefois combattu pour la France ,
Ils voulaient par leur gloire affermir leur puissance.
T-E CHANCELIER.
Le roi depuis long-temps est irrité contr'eux ;
Ses soupçons surveillaient leius complots ténébreux.
Nous avons décou\^rt qu'un pacte affreux, impie,
A remplacé les lois de la chevalerie;
Dans leurs rites secrets blasphémant rÉternel ,
Pour rem-erser le trône ils attaquaient l'autel (1).
La vengeance du roi serait terrible et prompte ;
Mais ce sont des Français, il veut cacher leur honte ;
11 se borne a détruire un ordre dangereux :
Qu'ils se montrent soumis, il sera généreux.
LE MINISTRE.
Non , plus de templiers ! tous ont cessé de l'être
Alors que sous le joug d'un vainqueur et d'un maître,
(1) L'accusation contre les templiers supposait que
d'après les nouveaux statuts qui avaient remplacé
l'ancienne règle de Tordre , le clievalier récipien-
daire était obligé de renier Jésus-Qirist , de craclier
sur la croix , et de souffrir des libertés criminelles
qui devaient autoriser ensuite la dépravation de ses
moeurs. (Voyez les cent vingt-sept chefs d'accu-'
jiacion que Clément V pûllia coîitre eux. )
LES TEMPLIERS,
Leurs revers éclatants ont pour jamais livré
Et Solyme, et le temple, et le tombeau sacré.
LE CHANCELIER.
Le roi veut une entière et prompte obéissance j
Il exerce les droits de sa toute-puissance :
Malheur a ces guerriers s'ils osent résister !
LE MINISTRE.
ïls lui résisteront ; pouvez-vous en douter ?
Nous aurons k venger l'honneur du diadème.
Qui frappera les coups ?
LE CHANCELIER.
L'inquisiteur lui-même.
LE MINISTRE.
Il est notre ennemi. Quand nos hardis succès
Contre la cour de Rome animaient les Français,
Lui seul, du Vatican (i) défenseur téméraire,
Exhalait contre nous une injuste colère;
A ses yeux , nos succès étaient des attentats :
H prêche le pardon, mais ne pardonne pas.
LE CHANCELIER.
Apprenez nos desseins : sûr de votre prudence,
Le prince m'autorise à cette confidence.
(i) Le Vatican bâtî dès. le 5«. siècle fut beau-
coup agrtindi par Nicolas m , dans le i5*. siècle.
ACTE I, SCÈNE I. o
La mort avait frappé le pontife romain ;
L'intrigue, retardant un choix trop incertain ,
Alarmait k la fois Rome et l'Europe entière;
Dans les temples , partout l'encens et la prière
Demandaient qiie le ciel daignât dicter un choix
Qui satisfît enfin les peuples et les rois.
Un prêtre fut élu : vous ignorez vous-mênïe
Qu'au crédit de Philippe il dut ce rang suprême.
Philippe, loin de nous, l'appelant en secret (i),
De ses soins tout-puissants lui promet le bienfait,
" L'éblouit de l'éclat de la ti'iple couronne (2).
Le prêtre ambitieux s'attendrit et s'étonne;
Futur pontife , il tombe aux genoux de son roi.
On apporte aussitôt le livre de la foi :
(1) L'entrevue et la convention entre le soi et Ber-»
trand de Got , archevêque de Bordeaux, depuis pape
sous le nom de Clément V , eurent lieu dans une
abbaye , proclie Saint-Jean-d'Angely, en i3o5.
(2) Boniface VIII, mort deux ans aupararant; , est
le premier pape dont on trouve un monument qui
représente le pontife paré de la triple couronne ; quoi-
que Ton put établir que c'est postérieurement que
les papes en ont fait l'un de leurs ornements, les pré-
tentions exagérées et orgueilleuses de Boniface MU
permettent de croire qu il donna le premier l'exeur
pie de porter la triple couronne.
lo LES TEMPLIERS,
Qu'on abuse aisément des cboses les plus saintes !
Politique profond , le roi montre des craintes.
Exige des serments; l'autre jure soudain ;
Des templiers alors on règle le destin.
S'ils outragent du roi l'autorité suprême ,
Rome doit les juger, les punir elle-même.
3'attendais le grand-maître ; il s'avance vers moi.
SCÈNE IL
LES MÊMES, LE GRAND-MAITRE, LAIGNE-
VILLE.
LE CHANCELIER.*
Je viens vous annoncer les volontés du rok
De ce vaste palais les superbes portiques
Ont cessé d étaler vos titres magnifiques.
En tous lieux désormais , vous et tous vos guerriers.
Vous ne paraîtrez plus qu'en simples chevaliers j
Déjk de votre sort vous vous doutez peut-être.
LE CRAMD-MAITRE.
Je l'attends sans effroi.
LE CHANCELIER,
Vous n'êtes plus grand-maître:
ACTE I, SCÈNE II. n
LE GRAND-MAITRE.
Qui l'a jugé ?
LE CHANCELIER.
Le roi.
LE GRAND-MAITRE,
Mais l'ordre entier?...
LE CHANCELIER.
N'est plus.
LE GRAND'-MAIXRE.
Croirai-jc ?...
LE CHANCELIER.
Epargnez-vous des regrets superflus j
Obéissez au prince j il l'espère , il l'ordonne.
LE GRAND-MAITRE.
Mais en a-t-il le droit ? Quel titre le lui donne ?
Mes chevaliers et moi , quand nous avons juré
D'assurer la victoire a l'étendard sacré ,
De vouer notre vie et noti*e saint exemple
A conquérir, défendre et protéger le temple ,
Avons-nous à de» rois soumis notre serment ?
NoB, Dieu préside seul k cet engagement.
,2 LES TEMPLIERS,
Le roi l'ignore-t-il? C'est à vous de l'instruire :
Le seul pouvoir qui crée a le droit de détruire.
Le prince m'entendra, je vais auprès de lui j
Il faut....
LE MINISTRE.
Dans ce palais il arrive aujourd'hui;
C'est ici seulement qu'il voudra vous entendre.
LE GRAND-MAITRE.
Non , je cours le chercher.
LE MINISTRE.
J'ose vous le défendre.
LE GRAND-MAITRE.
Comment!
LE MINISTRE.
Nul chevalier ne sort de ce palais.
LE GRAND-MAITRE.
C'est vous qui l'annoncez !
LE MINISTRE.
J'ai des ordF£6 txprèit,
LE GRAND-MAITRE.
Le roi peut contre nous s'armer de sa puissance ;
Nous joindrons à nos droits ceux de notre innocence.
ACTE I, SCÈNE IL i3
Quels que soient les projets qu'on forme contre nom ,
11 importe au monarque, et, le dirai- je? à vous,
A vous qui disposez de son pouvoir auguste ,
Qu'on cesse à notre égard un traitement injuste.
Ce n'est pas que le roi nous puisse humilier ;
Mais que ses serviteurs se gardent d'oublier
Qu'en ce palais encore ils parlent au grand-raaîtrç;
Oui, je le suis toujours, je saurai toujours l'être.
LE CHANCELIER.
De résister au roi prévoyez le danger.
LE GRAND-MAITRE.
Portez-lui ma réponse au lieu de la juger.
C II se retire avec Laigneville. J
SCÈNE ILI.
LE CHANCELIER, LE MINISTRE,
LE CIIANCEL}£R.
Sa haine et sa fureur cessent de sp contraindre ;
S'ils ne périssent pas , nous avons tout à Graiadrç .
LE MINISTRE.
Sans doute ces guerriers sont à craindre pour uous:
Moi-même n'ai-je pas éprouvé leur courroux ?
t4 LES TEMPLIERS,
Des Français dévoués au prince , a la patrie ,
Ils menaçaient sans cesse et l'honneur et la vie ;
Vous vous ensonvenez. Ce palais autrefois
Gardait tous les trésors de l'état et des rois ;
Il fallut s'affranchir de cette dépendance
Honteuse pour le prince et funeste a la Franco:
Ces guerriers résistaient : leurs complots furent vains ;
Et le trésor puhlic échappa de leurs'mains ( i ).
Mais ils dirent au roi q^ue ma coupable audace,
De mes propres abus voulait cacher la trace ;
Mille voix s'élevaient pour me calomnier :
Enfin , je fus réduit a me justifier.
Mon succès irrita leur vengeance perfide.
Quand mon fils demanda la main d'Adélaïde ,
Quand la reine daignait protéger leur bonheur ,
La cour de cet hymen m'eut envié l'honneur.
Jeune , aimable, vaillant, mon fils avait su plaire ,
Et le bonlieur du fils eût fait l'orgneil du père.
Cet hymen, que le roi permet en ce moment ,
Ne pouvait obtenir son auguste agrément.
Mon fils désespéré s'éloigna <îe la France ;
(i) En France et en Anp;1eterre les palais du Temple
gardaient les trésors des Pi.ois.
ACTE I, SCÈNE III. i5
A peine il reparaît après sa longue absence.
Je découvre aujourd'hui, j'apprends que contre moi
Les templiers alors animèrent le roi. .
Je ne mêlerai point les droits de ma vengeance
Aux intérêts publics du prince et de la France ;
Mais de ces intérêts si nous sommes chargés ,
Le monarque et l'état seront bientôt vengés.
I.E CHANCELIER.
De tous les chevaliers la haine redoutable
Chaque jour contre nous devient plus implacable.
LE MINISTRE.
Jaloux de mon pouvoir , rivaux de mon crédit ,
Si le roi m'encourage, ou la cour m'applaudit,
De leur haine soudain éclate le murmure :
Chacun de mes succès leur paraît une injure.
Et moi , des templiers ennemi sans retour ,
J'osai lés accuser, les poursuivre à mon tour.
De leurs vils attentats votre active prudence
Enfin a préparé la preuve et la vengeance.
LE CHANCELIER.
L'inquisiteur partout a des agents secrets j
S'il devait seulement venger nos intérêts,
7
,6 LES TEMPLIERS,
On pourrait suspecter sa promesse et son zèle ;
Mais lorsqu'il doit punir , croyez qu'il est fidèle.
On vient.... c'est le monarque.
SCÈNE IV.
LES MEMES, LE ROI, MARIGNI fils, suite du koi.
LE ROI au ministre.
Annoncez a lûa cour
Que ce palais sera désormais mon séjour (i).
LE MINISTRE.
Chacun auprès de vous s'honore d'y paraître ;
La cour s'empressera....
LE ROI au chancelien
Parlez -moi du grand-maître.
Souscrit-il a son sort ?
LE CHAISCELIER.
Sire , je suis confus
D'avoir subi pour vous l'orgueil de ses refus.
(i) Le même jour que les templiers furent arrêtés,
le roi se saisit du Temple, y alla loger, y mit son trésor
et les Chartres de France. ( Bupui, p, lo. )
ACTE I, SCÈNE IV.
LE MIMSTRE.
Si les armes pouvaient appuyer sa querelle ,
Sans doute nous aurions k combattre un rebelle;
Mais votre garde entoure et remplit ce palais ,
Et d'une vaine audace arrête ]es projets,
LE ROI.
Je l'avoûrai , long-temps j'ai refusé de croire
Que taint de chevaliers , émules de ma gloire ,
Se fussent avilis par l'horrible attentat
D'insulter a l'église et de trahir l'état ;
Je n'osai^ démentir leur noble renommée.
Marigni, votre fils revient de l'Idumée ;
J'ai su qu a côté d'eux il avait combattu i
Qu'il parle, que peut-il attester?
'SAÂKIGNI fils.
Leur vertu.
Sire, pardonnez-moi ce langage sincère,
Je dis la vérité , je ne puis vous déplaire.
LE MIKISTRE.
Quoi ! mon fils , lorsqu'ils sont accusés par le roi !
LE ROI,
Qu'il parle, je le veux.
7-
18 LES TEMPLIERS,
MARIGZSI fils.
Vous l'exigez de moi ;
Je remplis uu devoir , lorsque je rends hommage
Au dévoûment pieux , aux vertus , au courage.
J admirai dans les camps ces braves chevaliers ;
Chrétiens toujours soumis, intrépides guerriers ,
De tous les malheureux protecteurs charitables ,
C'est aux seuls musulmans qu'ils étaient redoutables.
Sire, dans les périls les a-t-on vus jamais
Payer de leur hoimeur ou la vie, ou la paix ?
S'ils ne peuvent toujours obtenir la victoire ,
Ils obtiennent du moins la véritable gloire ,
Que leur zèle poursuit en tout temps, en tout lieu 5
Ils meurent pour leur roi , leur patrie €t leur Dieu.
Dans les murs de Saphad (i) une troupe enfermée.
Ne pouvant plus combattre une nombreuse armée ,
Se rend; et le vainqueur, lâchement irrité,
Malgré le droit des gens , jusqu'alors respecté.
Veut que les chevaliers renoncent à leur culte ;
Mais il prodigue en vain la menace et l'insulte j
Eh ^■ain par ses bourreaux il les fait outrager ;
(1) Le fait est historique.
ACTE I, SCÈNE IV. 19
Intrépides encor dans ce nouveau danger ,
Tous marchent a la mort d'un pas ferme et tranquille :
On les égorgea tous : sire, ils étaient trois mille.
Et lorsque , combattant sur les bords du Jourdain ,
Un grand-maître resta captif de Saladin ;
Frappé de ses vertus, les égalant peut-être,
Le sultan proposait d'échanger le grand-maître ;
Déjà les chevaliers souscrivaient un traité : •
« J'ai. condamné ma vie a la captivité (1) ,
» Leur dit ce digne chef, en répandant des larmes ,
M Le jour où la victoire abandonna nos armes ,
3) On me chargea de fers, quand je voulais périr :
» De mon malheur du moins je saurai me punir:
» Je garderai mes fers ; ils pourront vous apprendre
» Que vous devez mourir plutôt que de vous rendre ;
M Instruits par mes revers , vous n'hésiterez pas
» De périr avec gloire au milieu des combats. »
Voifa de quels exploits leur courage s'honore ;
Voilà ce qu'ils ont fait , ce qu'ils feraient encore.
LE ROI.
Vous vantez leur valeur ! tous les jours im soldat
S'immole obscurément au salut de l'état ;
(1) Historique,
j,o LES TEMPLIERS,
Et souvent un guerrier qui se couvrit de gloire,
Rapporte dans nos cours l'orgueil de la victoire :
Ainsi les templiers , trop fiers de leur valeur,
Même en servant Tétat méditaient son malheur.
Bientôt vous connaîtrez leurs complots redoutables.
LE MINISTRE.
11 aidera lui-même a punir les coupables.
LE ROI au ministre et au chancelier.
C'est le trône et l'autel qu'il s'agit de venger.
Mais quand notre prudence écarte le danger,
Prenez soin qu'on ne puisse accuser ma mémoire.
LE CHANCELIER.
Nous voulons vous venger et servir votre gloire.
LE ROI.
Que la France, l'Europe et la postérité
Disent : Ils ont péri , mais ils l'ont mérité.
Quelques faits éclatants ont illustré mon règne :
Il faut que l'étranger me respecte ou me craigne.
Le Français me cliérit, depuis qu'en nos états,
Où délibéraient seuls les grands et les prélats,
ACTE I, SCÈNE IV. ai
Le premier, j'ai du peuple introduit le suffrage (i) ;
■r- Le peuple dans nos lois honore son ouvrage.
Le poutife romain , hardi dans ses projets,
Ne voyait dans les rois que des premiers sujets :
Un prêtre de nos lois se prétendait l'arbitre.
^ J'ai bravé son audace , en respectant son titre;
Et tandis que le bniit de ses foudres sacrés
Épouvantait encor les peuples égarés ,
Moi , discutant les droits de l'autel et du trône ,
J'ai contre la thiare élevé la couronne,
Et d'un pontife altier réprimant les vains droits ,
J'aurai de sa tutelle affranchi tous les rois (2);
(1) Philippe-le-Bel admit le tiers-état dans rassem-
blée des états-généraux , ainsi nommés depuis la
réunion des trois ordres , en i J02.
(2) Voyez le recueil : Acta inter Bcnifa-
cium VIll et Pldlippumpulchrinn regem christ.
— L"liistoire des différends de Philippe-le-Bel avec
Boniface YlII.
Bonifdce VIII et Clément Vont été jugés sévèrement
par le Dante qui, dans les 19e. et 27e. chants de sa
Divijia cowefi?/o,lesplace tous les deafc^ans l'enfer.
Diverses éditions de la Divina cmnedia ont été
dédiées aux papes. Celle de 1644 , in-4°. , à Paul III ;
celle de i564,in-fol. , à Pie IV; celle de lyôz à Clé-
ment XII.
22 LES TEMPLIERS,
Les exploits d'Edouard menacent-ils la France ?
Il expie aussitôt sa superbe imprudence.
L'Anglais fuit , et laissant nos rivages déserts ,
Met entre nous et lui la barrière des mers.
Aux flots de l'océan il demande un asile ;
La terreur de mon nom le poursuit dans son île ;
Justement effrayé de mes hardis projets,
En vassal de ma gloire , il accepte la paix (i).
Si les Flamands d'abord vainquirent mon armée ,
J'ai fait de leurs succès taire la renommée ;
Moi- même , combattant dans les plaines de Mons^
J'ai du jour de Courtrai réparé les affronts ;
Jusqu'au pied des autels consacrant ma victoire,
Un monument pieux en garde la mémoire (2) ;
(1) Philippe chassa les Anglais du continent; il
entreprit une grande expédition contre l'Angleterre ;
la flotie française débarqua au port de Douvres , sous
le commandement de Mathieu de Montmorency et
de Jean d'Harcourt.
(2) Après \a. bataille de Mons en Puelle^ le roi
vainqueur , disent quelques liistoriens , entra à che-
val dans Fé^fte de Notre-Dame de Paris : il avait les
mêmes armes et le même cheval dont il s'était servi
dans le combat. En mémoire de cet acte de piété , on
érigea dans l'église la statue équestre de ce roi. Elle
a été détruite depuis peu d'années.
ACTE I, SCÈNE IV. 23
Et mes exploits peut-être ont déjk mérité
D'obtenir un regard de la postérité.
Ainsi , quand nous vengeons les droits du diadème,
Honteux de mes succès j'en gémirais moi même,
Si jamais on pouvait accuser mon courroux
D'avoir aux templiers porté d'injustes coups.
Ah! je préférerais, noblement téméraire ,
Provoquer aux combats leur audace guerrière ,
D'une lente victoire affronter le danger ,
Les attaquer en roi , combattre et me venger.
Qu'ime dernière fois le conseil se rassemble ;
Quelque puissant qu'il soit , que tout coupable tremble.
Mais , d'après vos avis , si nous reconnaissons
Que nous n'avions contr'eux que d'injustes soupçons ,
Je veux avec honneur moi-même les absoudre :
Il est encore temps de retenir la foudre.
FIN DU PREMIER ACTE.
a4 I.ES TEMPLIERS,
ACTE II.
SCÈNE PREMIERE.
MARIGNI fils, seul.
jfxDELAÏDE î ô ciel ! devais-je te revoir?
Je n'ai fait qu'irriter mon affreux désespoir.
En m'aimant , tu crois suivre un penchant légitime j
O malheur! notre hymen désormais est un crime.
Quel funeste secret il faut te révéler !
Ah! je ne puis me taire et frémis de parler.
Expliquons-nous : Thonneur, le devoid", tout l'ordonne.
La reine en cet instant m'appelle au pied du trône ;
Protégeant notre hymen , vient-elle m'annoncer
Un destin qui jf.dis.... Je la vois s'avancer.
SCÈNE IL
LAKEINE, SUITE, MARIGNI fris,
LA BEINE.
Depuis îong-temps je dois récompenser le zèle
D'un guerrier généreux et d'un sujet fidèle;
ACTE II, SCÈNE II. a5
D'iVjdélaïde enfm soyez Theureux époux ,
Son bonheur désormais ne dépend que de vous.
Marigni , j'ai voulu vous l'annoncer moi-même.
Lorsque l'hjTnen jn'offrit un nouveau diadème ,
J'acceptai ( mais sans nuire a mes premiers sujets)
La gloire de régner sur le peuple français.
•On exigeait en vain qu'une telle alliance
Asservît la Navarre aux destins de la France;
Du sort de mes états mou cœur fut trop jaloux
Pour les abandonner au sceptre d'mi époux (i).
De leur bonheur futur sagement inquiète,
Je voulus par moi-même acquitter cette dette ;
Je régnai sang partage , et tous les Navarrois
Ont respecté, chéri la lille de leurs rois.
Leur bonheur fait le mien , et je vous le confie ;
Conduisez auprès d'eux une épouse chérie,
Gouvernez en mon nom mes fidèles 'sujets ,
Et qu'ils mettent mon choix au rang de mes bienfaits.
MARIGNI fils.
Reine illustre ! la France, et la cour, et l'ai'mée,
Retentiront toujours de votre renommée;
(i) Jeanne de Navarre gouvernait elle-même son
royaume, quoique reine de France.
26 LES TEMPLIERS,
Les Français triomphants , les ennemis vaincus ,
Honorent votre gloire , admirent vos vertus.
Le peuple, dont vos soins adoucissent la peine,
Connaît a vos bienfaits que vous êtes sa reine;
Votre sexe par vous montre l'art de régner ;
Vous savez a. la fois combattre et gouverner.
Quel destin vous m'offrez ! quoi ! du haut de ce trône
Où la gloire s'assied, que la pompe environne,
Vos augustes regards descendent jusqu'à moi !
Disposez de mon zèle , et comptez sur ma foi.
Ah! que ne puis-je, aimé d'une épouse chérie,
Seconder vos desseins , leur consacrer ma vie y
Faire régner pour vous les vertus et l'honneur ?
Mais je ne suis point né pour un pareil bonheur.
LA REINE.
Qu'entends-je, Marigni! votre refus m'étonne.
Quoi ! lorsque mes bontés vous rapprochent du trône ,
Lorsque votre vertu servirait mes projets ,
Vous dédaignez....
MARIGMI fils.
O reine !
LA HEINE. ^tllH^ ^ ^
Expliquez-vous,
ACTE II, SCENE IL 27
MARIGNl fils.
Jamaisi
LA REI^'E.
Quel motif?
MARIGNI fils.
Un secret
LA BEINE.
Ah ! parlez, je l'exige.
MAUIGNI fils.
Hélas ! si vous saviez....
LA HEINE. W
Je l'ordonne , vous dis-je.
MARI G NI fils.
Eh hien ! connaissez donc mon désespoir affreux ;
Vous me plaindrez ; mon sort sera moins malheureux.
Du prince de Béarn j'aimai l'illustre fille j
Je fus aimé , j'obtins l'aveu de sa famille.
Mais le roi (pardonnez si je m'en plains à vous )
Offrit Adélaïde aux vœux d'un autre époux.
Pouvais-je être témoin de ce triste hyménée ,
Qui devait a jamais la rendre infortunée?
Je déserte la cour, je m'exile soudain ;
Je m'éloigne et parviens aux rives du Jourdain ;
a8 LES templiers;
Au milieu des périls que j'affronte avec gloire,
Je demande la mort et j'obtiens la victoire;
Partout mon désespoir assurait mes succès.
Je guidais aux combats ces chevaliers françîiis ,
Qui , pour venger Sion , combattent l'infidèle :
Hélas ! ces chevaliers, pour honorer mon zèle ,
Vainement de lauriers coiu-onnent ma valeur ,
La gloire est kur mon front, le deuil est dans mon cœur.
Séparé de mon père , absent de ma patrie ,
Désespéré , pleurant une amante chérie ,
Hhrs mes tristes regrets n'osant même en parler ,
Je crus que Dieu lui seul pouvait me consoler.
On sait k quels devoirs les défenseurs du temple
Consacrent saintement leur vie et leur exemple ;
Parmi ces chevaliers je comptais des amis ;
Dans leurs rangs belliqueux je consens d'être admis,
Et bientôt un serment, funeste, in-évocable....
L A R-EIN E.
Lrévocable! ô ciel! ,
MAiRiGNi €ls;.
Épargnez un conpable.
Aux marches de l'autel prosterné chaque jour ,
Je demandais a Dieu d'éteindre mon amour.
ACTE II, SCÈNE IL 29
Insensé ! de mes pleurs baignant le sanctuaire.
Je tremblais que le ciel n'exauçât ma prière.
Cependant , soutenu de secours étiangers ,
L'ennemi tout à coup ramène les dangers ,
Porte jusqu'en nos murs la flamme et le carnage.
Nos chevaliers au nombre opposent le courage ;
Vains efforts! jour affreux! nul n'accepte des fers.
La gloire a raconté nos illustres revers :
Je survis presque seul. Cette triste journée
A mes yeux tout a coup change ma destinée.
Je vois que les amis témoins de mes serments
Ont péri sous les coups des vainqueurs musuhnans ;
La flamme a dévoré les sacrés caractères
De mes serments écrits témoins dépositaires ;
Mon funeste secret n'est coimu que de moi ;
Adélaïde encor me conservait sa foi,
De fidèles avis m'en donnaient l'assurance ;
Je pars au même instant , je vole vers la France.
Vous ferai-je l'aveu des transports d'un amant ^
Du projet insensé de trahir mon serment?
Déserteur de l'autel et chevalier perfide ,
J'osais prétendre encore au cœur d'Adélaïde.
Tout servait à la fois et secondait mes vœux.
Je vois les templiers proscrits et malheureux j
3o LES TEMPLIERS,
Un généreux remords a rammé mon zèle :
Au jour de leurs revers je leur serai fidèle;
Et je ferai céder, malgré mon désespoi«r.
L'amour h la vertu, le bonheur au devoir.
LA REINE.
Oui , le cfel vous- appelle a servir l'innocence.
Des chevaliers proscrits vous prendrez la défense *,
Vous les assisterez dans leur pressant danger j
Je les crois innocents, j'ose les protéger.
MARIGNI fils»
Quoi ! vous-même !... Pour moi quel exemple sublime !
LA REINE.
Je me range toujours du parti qu'on opprime.
Vous me seconderez ; j'aurai soin cependant
Que vous ue hasardiez qu'un courage prudent.
Votre fatal secret vous appartient encore ;
Il faut qu'Adélaïde elle-même l'ignore ;
Il faut le taire au prince , à votre père , à tous.
ie sais pour quel dessein le roi compte sur vous ;
J'apprends, mais en secret, que dans ce jour peut-être,
Tous seront arrêtés , chevaliers et grand-maître :
De ces braves guerriers on craint le désespoir ,
ACTE II, SCÈNE IL 3i
Et de les arrêter on vous fait un devoir :
Ne refusez pas.
MARIGNI fils.
Moi!
LA REINE.
Votre père a d'avance
Annoncé votre zèle et votre obéissance.
MARIGNI fils.
Mon père vainement s'est engagé pour moi ;
Mes refus braveraient et mon père et le roi.
LA REINE.
Tous livrez ces proscrits à la haine implacable !
Prévoyez donc leur sort.
MARIGNI fils.
Qu'un autre en soit coupable.
LA REINE.
Moi (jui veux ks sauver , je tremble , je frémis,
S'ils sont abandonnés a leurs vils ennemis.
Quand l'envie et la haine accablent l'innocence,
Lui refuserez -vous votre noble assistance ?
Ah ! combien j'applaudis ces mortels généreux
Qui , redoublant de zèle en des temps malheureux,
8
3a LES TEMPLIEFxS,
Des rigueurs de la loi ministres magnanimes,,
Sans trahir le pouvoir consolent ses victimes !
MARIGNI
fils.
A ces infortunés je promets mon secours ;
Je puis , je dois pour eux sacrifier mes jours ;
Mais que des oppresseurs je paraisse complice !
Non , vous n'exigez pas ce cruel sacrifice.
tA REINE.
C'est l'unique moyen de veiller sur leur sort ;
Pensez que d'autres mains les livrent a la mort.
Ils connaîtront par vous que je prends leur défense •
Faites dans leur prison descendre l'espérance.
Vous seul pouvez servir les desseins généreux
Que la vertu, l'honneur m'inspireront pour eux.
.Te ne m'explique pas.... Cédez, je vous l'ordonne.
S'il faut que leur prière arrive jusqu'au trône,
C'est vous seul, quel emploi digne de votre cœurl
C'est vous qui plaiderez la cause du malheur.
A détromper le roi moi-même je m'engage,
Et dans ce grand revers j'exige un grand courage.
Des mortels généreux vous craignez les mépris :
Leur estime est sacrée, et j'en connais le prix ;
ACTE II, SCÈNE lï. 33
Mais c'est de la vertu le dévoûment sublime,
Quand , pour faire le bien , nous perdons cette estime.
Non, vous n'hésitez plus.... Je vais auprès du roi ,
Et mes ordres bientôt vous attendront chez moi.
SCÈNE III.
MA*R IGN I fils , seul.
O ciel ! qu'exige-t-on ? Notre cause est commune ;
Nous sommes compagnons de gloire et d'infortune ;
Avec eux je devrais et combattre et mourir.
Mais la reine pourtant voudrait les secourir :
Que dis-je ? elle protège et leur vie et leur gloire :
Sa vertu m'a parlé , puis-je ne paS l'en croire ?
C'est trop délibérer , servons ces malhemeux ;
Je cède a mon destin qui m'entraîne auprès d'^ux.
Hélas ! pour secourir l'innocence opprimée,
Je donnerais mon sang... donnons ma renommée.
O pénible vertu ! faudra-t-il eu ce jour
Te sacrifier tout, gloire, espérance, amour?...
?..
34 LES TEMPLIERS, -
SCENE IV.
LE MINISTRE, MARIGNI fils.
LE MINISTRE,
Le monarque permet que ton hymen s'apprête ;
Sa présence et ses dons embelliront la fête.
Mérite , ô mon cher fils ! les bontés de ton roi j
Que ton zèle soit digue et du trône et de moi.
Des templiers proscrits embrassant la défense,
Tu t'es rendu coupable au moins d'une imprudence^
Mais je l'ai réparée, et le roi t'a permis
De servir ses projets contre nos ennemis.
Je crains leurs partisans, je crains le connétable :
On s'agite en faveur de cet ordre coupable j
Il faut intimider et la cour et Paris;
Nous voulons tout à coup enchaîner les proscrits ,
Et de leur résistance éviter le scandale.
Expiant de mon fils l'imprudence fatale,
Je viens de demander et d'obtenir pour toi
L'honneur de diriger la vengeance du roi.
MARIGNI fils.
mou père !
ACTE II, SCENE IV.
LE MINISTRE.
Obéis a cet ordre suprême :
Refuser c'est te perdre, et rae perdre moi-mémo,
SCÈNE V. j
LES MEMES , LE ROI , LE CHANCELIER.
LE KOI.
Eh bien ! des templiers l'indomtable fierté
Fléchira-t-elle enfin devant ma volonté ?
Ou, par une coupable et vaine Fésistance^
Appellent-ils sur enx l'éclat de ma vengeance ?
LE MINISTRE.
Moi-même j'ai rempli ce message important :
Tous se sont devant moi rassemblés à l'instant.
« Des lieux, leur ai-je dit , où- brilla votre gloire^
« Vous êtes a jamais bannis par la victoire,
» Et depuis vos revers l'ordre n'existait plus :
» Vous perdîtes vos droits quand vous fûtes vaincus.
» Obéissez enfin , votre intérêt l'ordonne..
» Accusés de trahir et l'autel et le trône ,
» Quand on peut vous livTer au glaive de la loi ,
»j C'est vous justifier que d obéii' au roi..
3« LES TEMPLIERS,
» Un coupable refus vous perd, je vous l'annonce. »
Je ne vous parle point, sire, de leur réponse.
Ni des discours hautains qu'ils ont osé tenir ;
Il ne faut désormais songer qu'à les punir.
LE Ror.
Non , je n'hésite plus. Leur fierté criminelle
Aux bienfaits du monarque est encore rebelle !
LE CHANCELIER.
Ces refus insolents vous expliquent assez
De quels affreux périls nous étions menacés ;
Vous n'eu avez que trop retardé la vengeance.
LE ROI.
Je la dois à l'église , à l'Europe , à la France.
Partout les templiers menacent à la fois
Le bonheur des sujets, l'autorité des rois.
Voj'^ez dans l'Arragon leur vigilante adresse
D'Alphonse vieillissant suborner la faiblesse ;
Des droits de sa couronne il les nomme héritiers (i).
Quel orgueil enivrait ces superbes guerriers !
(i) Alphonse P"^. , roi d'Arragon et de Navarre ,
se voyant sans postérité , avaft , par son testament ,
nommé les templiers et les hospitaliers pour ses suc-
ACTE II, SCÈNE V 3;
De,la gloii'e des rois leur audace rivale,
Sous le dais , sur le trône eût assis le scandale ,
Si le peuple, les grands, et le vœu de la loi
N'eussent créé contre eux un légitime roi.
Que les bienfaits publics aient excité leur zèle ,
Tandis que leur bravoure attaquait riulldèle.
Il le fallait alors. Leurs exploits glorieux
Détournaient de l'Europe un torrent furieux;
Contre le musulman ik servaient de barrière,
ZyJais il a terrassé leur audace guerrière ,
L'Orient reconnaît un vainqueur menaçant,
Et l'étendard sacré fuit devant le croissant.
Les nombreux templiers que la victoire exile
Espèrent dans l'Europe obtenir un asile.
On les verrait d'abord dociles et soumis;
Mais bientôt relevant leurs projets ennemis,
Dès qu'ils auraient fondé les droits de leur puissance,
Ils s'armeraient encor de leur indépendance.
LE CHANCELIER.
La thiare insultait au sceptre de nos rois;
Comment ces chevaliers vengèrent-ils vos droits ?
cesseurs aux couronnes de Navarre et d'Arragon ;
mais les deux nations se clioisirent d'autres souve-
rains.
38 LES TEMPLIERS,
Le dirai-je? en public , le faste de leur zèle
Par des discours pompeux servait notre querelle j
En secret leurs trésors , leur crédit redouté
Du pontife romain excitaient la fierté (i).
LE ROI.
S'ils outrageaient ainsi l'honneur du diadème.
Dans leurs rites secrets l'audace et le blasphème ,,
^ Insultant l'Eternel et méprisant ses lois ,
Contre lui s'exerçaient a détrôner les rois.
L'Europe n'attendait qu'un signal , je le donne ;
Soudain les autres rois, s*ils sont dignes du trône,
Voudront punir le crime et venger leur affront :
Nul n'eût donné l'exemple, et lous l'imiteront (2).
(^u Ministre.)
Votre fils est-il prêt? C'est avec confiance...,
LE MINISTRE.
Du zèle de mon fils j'ai donné l'assurance;
» I ■ ■ Il .. I ■
(1) Dans les débats entre Philippe-le-Bel et Boni-
face VIII , les templiers parurent prendre le paffti
du roi ; mais on les soupçonna d'avoir appuyé en
secret l'audace du pape.
(2) Philippe-le-Bel provoqua par son exemple et
par ses exhortations tous les autres princes de l'Eu-
rope à poursuivre les templiers.
ACTE II, SCÈNE V. Sy
Je veillerai sur tout ; je reponds du succès.
SCENE VI.
LES MÊMES, UN OFFICIER.
l' O F F I C l E R.
Sire, le connétable entre dans ce palais ;
Il demande l'honneur d'être admis.
LE ROI.
Qu''il paraisse.
SCENE VIL
lES MÊMES, hors l'officier.
LE MINISTRE aU VOî.
Au sort des templiers je sais qu'il s'intéresse.
A'^ous verrez a vos pieds leurs amis, leurs parents :
Quand les coups tomberaient même sur nos enfan!s.
L'intérêt de l'état commande qu'on punisse :
In tercéder pour eux , c'est être leur complice.
MAIIIGNI fils.
. Ah ! mon père, souffrez,...
4© LES TEMPLIERS,
LE MINISTRE.
Vous, mon fils, suivez-moi ;
Je vous expliquerai les volontés du roi.
( Il sort et emmène sonjils. J
SCENE VIIT.
LE ROI, LE CHANCELIER, LE CONNÉTABLE.
LE CONKÉtABLE.
Sire , vous permettrez qu'un serviteur fidèle
Vous offre en cet instant la preuve de son zèle.
L£ KOI.
Connétable , parlez.
LE CONNÉTABLE.
Le chef de vos guerriers
Défendia devant vous l'honneur des templiers.
S'il faut juger de tous , sire , par le grand-maître ,
Aucun d'eux n'est coupable, ils ne peuvent pas l'èlre»
A mes côtés soiivent leur chef a combattu j
Les ennemis et moi connaissons sa vertu.
Généreux a la cour , intrépide à l'armée ,
Il jouit d'iuis illusti'e et digne renommée >
ACTE II, SCÈNE VIII. 4i
La haine le poursuit, mais il est innocent ;
^'oserais le défendre au prix de tout mon sang.
Daignez^...
LE ROI.
Je suis sni'pris , j'ai quelque droit de 1 être ;
Pour la première fois vous louez le grand-maître ;
Vous n'en aviez jamais parlé comme aujourd'hui.
LE COriiVÉTABLE.
Sire , ses actions parlaient assez pour lui.
Je sais qu'en cet instant on craint de le défendre,
Et j'aime a le louer, quand il ne peut m'entendre.
J'admirais le grand-maître au milieu des comhats;
^ Sire , je l'imitais et ne le vantais pas.
Mais il est malheureux , j'offre mon témoignage ;
J'atteste ses vertus, son zèle , son courage ;
Aucun de vos guerriers, capitaine ou-soldat,
Plus que lui ne chérit et son prince et l'état.
Dois-je vous rappeler ses exploits honorahles?
SCENE IX.
LES MÊAiEs, LE MINISTRE.
LE MINISTRE.
Sire, bientôt mon fik arrête les coupables j
43 LES TEMPLIERS,
Vous pouvez les livrer sans crainte et sans danger.
Au tribunal sacré choisi pour les juger.
Je vous promets la preuve et l'aveu de leurs criraes..
LE CONNETABLE.
Ce sont des accusés et non pas des victimes ;
C'est donc aux seuls Français, ministres de la loi ,^
De venger, s'il le faut, la patrie et le roi.
On donnerait pour juge un prêtre inexorable !
LE ROI.
Partout où ses regards rencontrent un coupable.
Le devoir de ce juge est de le condamner :
Les rois sont plus heureux,^ ils peuvent pardonner.
Ces guerriers insultaient notre sainte croyance ;
C'est à l'inquisiteur de juger cette offense ;
Oui , lui seul doit punir ces horribles forfaits ;
C'est le vœu de la loi, c'est celui des Français.
Ces ministres sacrés, dont l'austère franchise,
Devant le souverain, parle au nom de L'église,
Ces premiers magistrats, dont l'éloquente voix
M'implore au nom du peuple ou m'expose ses droits,
Tous mes sujets enfin dénoncent de grands crimes ;
Je cède et dois céder a ces vcéux unanimes.
ACTE II, SCÈNE IX. 43
Ç A\i ministre. )
L'inquisiteur m'attend et demande à me voir ;
C'en est fait : employons son terrible pouvoir \
D'un parti criminel déconcertons l'audace.
(Au. connétable. J
L'aveu des accusés peut seul obtenir grâce.
SCENE X.
LE CHANCELIER, LE MINISTRE, LE CON-
NÉTABLE.
LE CONNÉTABLE.
C'est VOUS , dont les avis ont décidé le roi
A livrer ces guerriers au glaive de la loi !
Je vous le dis encore, ils ne sont pas coupables ;
De leur sort désormais vous êtes responsables.
LE MINISTRE.
Comme vous , nous songeons au salut de l'état ;
Vos avis prévaudront dans un jour de combat ;
Elevé dans les camps, un guerrier magnanime
Refuse noblement de soupçonner le crime.
LE CONNÉTABLE.
Ici je le soupçonne et veux le prévenir.
Craignez de J'achevçr ? on pourrait le punir.
44 LES TEMPLIERS,
Dans le champ de l'honneur il nous faut du courage ,
Mais je vois qu'en ces lieux il en faut davantage î
Tel marche a l'ennemi sans être épouvanté ,
Qui n'ose dans les cours dire la vérité ;
Moi, j'oserai la dire.
• ( Il sort. )
SCENE XL
LE MINISTRE, LE CHANCELIER.
LE CHANCELIER.
En vain il nous menace ;
Hâtons- nous, et bravons ses cris et son audace.
LE MINISTRE.
Peut-être un même jour verra tous ces proscrits
Accusés , détenus , condamnés et punis.
FIN DU SECOND ACTE.
ACTE III, SCÈNE L 45
ACTE III.
SCENE PREMIERE.
Lll GRAND-MAITRE, LAIGNEVILLE, MONT-
MORENCY , DIVERS TEMPLIERS.
LE GRAND-MAITRE.
JL u R la dernière fois vous entendez peut-être
Celui que devant Dieu vous choisîtes pour maître.
Nous, qui nés et vieillis au milieu des combats,
Pouvons de rÉternel nous dire les soldats ,
Qui portions dans nos mains les foudres de la guerre,
Dieu nous livre aux fureurs des princes de la terre.
Oui, notre heure s'approche : amis, soumettez -vous;
Fléchissons sous le bras qui s'arme contre nous :
Quand la vertu subit la peine due au crime ,
Du sage et du chrétien c'est l'épreuve sublime.
D'un funeste revers nous sommes menacés ,
Mais si noire vertu nous reste, c'est assez.
Supportons noblement cette cruelle injure;
Je vous défends à tous jusqu'au moindre luurmurç ,
\.6 LES TEMPLIERS,
Et vous obéirez. C'est en vain que les rois
Osent anéantir nos titres et nos droits;
Us ne pourront jamais , dans leur toute-puissance ,
iMe ravir votre zèle et votre obéissance y
Us briseraient envain le joug religieux :
Nos devoirs, nos serments sont écrits dans les cieux.
Lorsque Dieu nous éprouve, armons-nous de courage :
C'est a notre constance a braver cet orage.
Au milieu des dangers, j'espère vous offrir
L'exemple, la vertu, la gloire de souffrir.
Mais , si , dans ces dangers , la vertu du grand-maître
Cessait d'être un instant tout ce qu'elle doit être j
Oui, si vous me voyez chancelant , abattu,
Ne prenez plus conseil que de votre vertu ;
Résistez , s'il le faut, a mes ordres suprêmes ,
Je vous rends vos serments, soyez grands par vous-mêmes-
Vous me le promettez.
LAIGNE VILLE.
Qui pourrait se flatter
D'être digue de vous et de vous imiter ?
O mon père ! la foi que nous avons jurée ,
Au jour de nos malheurs nous devient plus sacrée •
Obéir en silence est un premier devoir :
Tout vous sera soumis , même le désespoir.
JLCTE m, SCÈNE I. 4;
LE GRAND-MAlTr.n.
O dignes chevaliers !
MOWTMOnCJV C Y.
Tous obtiendront peut-être
La gloire de marcher sur les pas du grand-maître ;
Comptez sur leur constance et leup fidélité :
Tous pensent comme mui.
LE GR AK D-MAITRE.
Je n'en ai pas douté ;
J'ai souvent éprouvé leur dévoûment sublime :
Eux-mêmes jugeront si mon cœur les estime.
Je croirais offenser l'honneur et l'amitié ,
Si , par les vains égards d'une fausse pitié ,
Je taisais plus long- temps a des cœurs magnanimes
Que de nos oppresseurs nous serons les victimes.
Le pontife romain aide nos ennemis ;
Son coupable serment l'avait déjà promis.
Il nous dénonce tous comme une secte impie :
L'oracle de la foi prêche la calomnie,
Inous mourrons.
L AIGNEVILLE.
Quel destin !...
48 LES TEMPLIERS,
LE 'XJRAND-MAITRE.
J'ai dû vous l'annoncer.
Quel est ce sombre effroi qui semble vous glacer ?
Oui , nous mourrons : c'est peu que de perdre la vie;
Peut-être l'échafaud.,..
MONTMORENCY.
Ciel ! quelle ignominie !
LAIGNE VILLE.
Idée affreuse ! hélas ! je ne puis la souffrir !...
LE GRAND-MAITRE.
Et que sera-ce donc quand il faudra mourir ?
LAIGNEVILLE.
Mais avant de subir la honte du supplice ,
N'avons-nous pas le droit d'attaquer l'injustice?
MONTMORENCY.
Nos parens , nos amis peuvent armer leurs bras ;
Osons....
LE GRAND-MAITRE.
La vertu souffre et ne conspire pas.
ACTE III, SCÈNE T. 49
Est-ce à nous d'attaquer un pcuvoir légitime ?
Une révolte ! nous ? que ferait donc le crime ?
Sans lioifte et sans terreur subissons notre sort;
Que rborreur du supplice illustre notre mort ;
Nous laisserons de nous une auguste mémoire,
Et la postérité vengera notre gloire.
Mais on vient : renfermez ce trouble et cet effroi.
SCENE II.
LES MEMES, MARIGNI fils, SOLDATS.
MA.RIGNI fils.
Chargé d'exécuter les volontés du roi,
Je m'acquitte h regret de ce devoir pénible ;
Croyez qu'a votre sort je sais être sensible.
LE GRAND-MAITRE.
Eh quoi ! sur nos malheurs on daigne s'attendrir !
Osez les annoncer , nous saurons les souffrir.
Exécutez soudain les ordres qu'on vous donne ,
Et croyez que mon cœur vous plaint et vous pardonne.
Qu'exigez -vous enfin de tous mes chevaliers?
MARIGNI fils.
fy/part.J {Haut.)
Oserai-je le dire?,.. Ils sont mes prisonniers.
5o LES TEMPLIERS,
LE GRAND-MAITRE.
Forts de notre courage et de notre innocence,
Nous avons quelque droit de faire résistance j
Peut-être savez-vous avec quelle vertu
Ces braves chevaliers ont partout combattu....
Eh bien ! entre vos mains chacun de nous se livre ;
Chacun de nous est prêt et consent a vous suivre.
(^Ils remettent leurs épées ; les soldats les reçoivent^
et se retirent au fond du théâtre. J
Mais ne nous cachez ridïi : annoncez notre sort ;
Quel est-il ? la prison , l'exil , les fers , la mort ?
Nous vous obéirons.
MARIGNI fils.
vertu que j'admire !
LE GRAND-MAITRE.
N'admirez que le ciel , c'est lui qui nous l'inspire.
MARIGNI fils. .
Ah ! combien je vous plains !
LE GRAND-MAITRE.
Plaignez ces courtisans
Qui , de tous nos malheurs coupables artisaiis ,
ACTE III, SCÈNE II. 5i
Ont armé, contre nous le courroux de leur maître ;
Ils seront malheureux, ils méritent de Ictre (i).
MARIGKI fils.
Croyez que vos amis détromperont le roi.
LE GRAND-MAITEE.
Je ne l'espère pas. Et qui l'oserait ?
MARIGNI fils.
Moi.
' , :: ordres de mon roi je dois l'obéissance ,
Mais j'ose devant lui défendre l'innocence.
J'ai pris votre parti , je le prendrai toujours :
Ah ! puissé-je sauver votre gloire et vos jours !
LE GRAND-MAITRE.
Mais a qui devons-nous tant de reconnaissance !
Qui daigne en cet instant prendre notre défense ?
Nommez,...
MARIGNI fils.
Je suis le fils d'mi ministre du roi,
Marigni.
(i) Au commencement du règne suivant , Marigni
père fut condamné à mort.
52 LES TEMPLIERS,
LE GRAND-MAITRE, tti^ec siirprisc , et eiisuite (i^>ec
retenue.
Marigni !..^ c'est vous-même.
V
MARIGNI fils.
Mais quoi ?
Vos yeux....
LE GRAND-MAITRE.
De notre sort hâtez-vous de m'instruire,
MARIGNI fils.
Aux prisons du palais je devais vous conduire.
LE GRAND-MAITRE.
Vous direz donc au. roi qui nous charge de fers,
Que loin de résister nous nous sommes offerts.
On peut dans les prisons entraîner l'innocence ;
Mais l'homme généreux, armé de sa constance.
Sous le poids de ses fers n'est jamais abattu ;
S'ils pèsent sur le crime, ils parent la vertu.
Où sont nos fers ? nos fers ?
MARIGNI fils.
Quelle honte m'accable!
LE GRAND-MAITRE.
Remplissez ce devoir.
ACTE III, SCÈNE II. 53
MAKIGNl fils.
Je serais trop coupable.
LE GRAND-MAITRE.
Vous désobéissez aux volontés du roi !
MARIGNI fils.
Je cesse d'obéir , c'est un devoir pour moi.
LE GRAND-MAITRE.
Vous (jui le connaissez, redoutez donc sa haine.
MARIGNI fils.
Ah 1 c'est trop la servir. Votre mort est certaine.
LE GRAND-MAITRE.
Obéissez toujours. Non ^ nous n'espérons pas
Désarmer l'injustice , échapper au trépas.
Lorsque l'ordre n'est plus , qu'importe notre vie ?
Quand noi.is trouvons partout l'affreuse calomnie,
Si l'échafaud est prêt , c'est à nous d'y courir :
Que tout templier meure et soit fier de mourir.
MARIGNI fils.
Que tout temjilicr meure !
g4 LES TEMPLIERS,
LE GRAND-MAITRE.
Oui , je le dis encore,
Qiii désire échapper déjk se déshonore ;
Il est lâche , perlide , il trahit la vertu.
En vain jusqu'à ce jour il aurait combattu ,
En vain il vanterait son nom et sa victoii'e ,
Ce n'est plus qu'en mourant qu'il conserve sa gloire }
Oui , qu'il coure avec joie au-devant de son sort :
Que tout templier meure et soit fier de sa mort.
MARIGNI fils.
O ciel! un trait divin et m'éclaire et me touche;
C'est mon auguste arrêt qui sort de votre bouche:
Vos serments sont les miens; je tombe a vos genoux,
Et réclame l'honneur de mourir avec vous.
Sur moi de vos vertus que Philippe se venge :
Oui , je suis tempher.
LE GRAND-MAITRE.
Je le savais.
jWARIGNI fik.
Qu'entends-je ?
Vous ne m'en parliez pas; vous vouliez m'éprouver?
ACTE III, SCÈNE II. 55
LE GRAIN'D-MAITIIE.
Je priais en secret le ciel de vous sauver.
M A R I G K I fils.
J'ai droit à vos périls.
LE GRAND-MAITRE.
O mon fils ! j aime h croire
Que vous partageriez notre sainte victoire.
MARiG^'i fils.
Je la partagerai sans doute, je suis prêt.
LE GRAND-MAITRE.
Chacun des chevaliers vous rend votre secret;
Vivez , portez encor le fardeau de la vie ;
Défendez notre gloire ; oui , je vous la confie.
Vivez , et que le ciel daigne approuver mes soins :
Pour nos persécuteurs c'est un crime de moins.
Toi qui lis dans les cœurs , ji^Piuguste et suprême !
Ma prière et mes vœux se taisent pour moi-même ;
Que les hommes en moi frappent un innocent ,
Blessent ma renommée et répandent mon sang,
Soumis et résigné, je me tais et j'adore ;
Mais pour mes chevaliers pennets que je t'implore.
56 LES TEMPLIERS,
Du joug des musulmans nous avions délivré
Le Jourdain, l'Idumée et le tombeau sacré.
Fête auguste ! heureux jour où de la cité sainte
La prière et l'encens purifiaient l'enceinte !
Quand les murs consolés de l'antique Sion
Répondaient a nos chants consacrés de ton nom ,
Lorsqu'aux pieds de l'autel oii repose ta gloire
Ces modestes guerriers prosternaient leur victoire,
Je n'ai point demandé le prix de leur vertu.
Pour tes lois , pour ton nom, nous avions combattu j
C'était assez pour nous. Aujourd'hui ma prière
Ose te demander une grâce dernière :
Que je périsse seul, qu'ils vivent après moi ;
J'espère qu'ils vivront toujours dignes de toi.
Oui, je m'offre pour tous, accepte la victime.
MAUIGKI fils.
Grand Dieu ! n'accepte pas ce dévoùment sublime.
^^ ]X T M R E ?f G Y.
Nous suivrons votre sort.
LAICNEVILLE.
Oui , nous l'avons juré.
ÎIARIGNI fils.
CVst pour nous un devoir, cl c'est un droit sacré.
ACTE III SCÈNE III. S-j
SCENE III.
LES MÊMES, LE MINISTRE.
LE MINISTRE.
Pourquoi ce long retard ? Soldats , qu'on obéisse.
MARIGNI fils.
Quoi ! vous achèveriez cette horrible injustice !
XE GRAKD-MAiTRE ttux c/iei^aliers.
Marchons.
MARIGNI G\s au grand-maître.
Je vous suivrai désormais en tout lieu.
LE MINISTRE à SOJl Jlls.
Vous offensez le roi !
MARIGNI fils.
Mais j'obéis a Dieu.
LE GRAND-MAITRE à MarigTliflls. '
Restez.... n'oubliez pas que c'est la votre père.
Cils sont entourés de sùUais, et sortent.)
58 LES TEMPLIERS,
SCENE IV.
LE MINISTRE, MARIGNI .fils.
MARIGNI fils.
Pour ces infiDrtunés....
LE MINISTRE,
Crains ma juste colère.
Quoi ! dans mon fils encore ils trouvent un soutien !
Lorsque l'inquisiteur....
MARIGNI fils.
Leur sort sera le mien.
LE MINISTRE.
Que t'importe leur sort ?
MARIGNI fils.
Aux champs de l'Idumée ,
Témoin de leurs vertus et de leur renommée ,
A ces dignes guerriers mes serments ont promis...
Faut-il vous l'avouer ?
LE MINISTRE.
Achève , je frémis....
Envers les templiers ta promesse t'engage ?
ACTE III, SCÈNE IV. 59
MARIGNI fils.
Moi-même je le suis....
LE MINISTRE.
désespoir ! ô rage !
Toi templier ! Faut-il que je maudisse en toi
L'opprobre de mon sang, l'ennemi de mon roi!
Aux regards de la cour oserai-je paraître ?
Mon fils est templier ! Non , tu ne peux pas l'être :
Il y va de ma gloire , il y va de mes jours.
MARIGNI fils.
Je le fus, je le suis, je le serai toujours.
LE MINISTRE.
Philippe les accuse et veut qu'on les punisse ,
Et toi-même oserais t'avouer leur complice !
MAaiGNI fils.
On a calomnié ces guerriers vertueux.
LE MINISTRE.
Comment me le prouver?
MARIGNl fils.
En mourant avec eux.
6o LES TEMPLIERS,
LE MINISTRE.
J'ai dévoué ma vie au monarque , a la France;
Ta gloire et ion bonheur faisaient ma récompense.
Les honneurs , le pouvoir illustrent ma maison j
Je prépare pour toi la splendeur d'un grand nom ,
Et sur un échafaud mon fils perdrait la vie!
Et moi j'hériterais de son ignominie!
Tu frémis ! Sois sensible a. l'horreur de mon sort j
Nous pouvons échapper a l'opprobre , a la mort j
Oui , je réparerai ta coupable imprudence;
Emporte ton secret , pars , fuis loin de la France.
M A. m G NI fils.
Dans un jour de Combat pourriez -vous exiger
Ou permettre ma fuite à l'aspect du danger?
Faliût-il de mon sang acheter la victoire ,
Garde , me diriez-vous , le poste de la gloipe.
Eh bien ! je garderai celui de la vertu.
LE MINISTRE.
Ah ! quelle est ton erreur ! insensé ! que dis-tu?
O honte ! ô désespoir ! faut-il que je t'apprenne
Combien les templiers ont mérité ta haine ?
C'était peu que leur bouche eût noirci mon honneur ,
Eux seuls de ton hymen t'ont ravi le bonheur.
ACTE III, SCENE V. 64
M A R I G ?« I fils.
Et quand même envers moi tous se ïendraient injustes ,
Mes devoirs en sont-ils moins grands et moins augustes'
Mon père , vous pouvez m'accabler de douleur ,
Mais je ne trahis pas le paf ti du malheur.
SCENE V.
ixs MEMES, LE CHANCELIER.
LE CHANCELIER.
De tous les accusés attestant l'innocence, •
La reinei^ontre nous prend déjà leur défense.
Bien Ipin de consentir qu'en ses propres états
On cherche à découvrir leurs lâches attentats ,
Aux débris de cet ordre orgueilleux et coupable ,
Elle offre d'assurer un asile honorable.
A la ville , à la cour , des partisans nombreux
Plaignent les templiers , sollicitent pour eux.
A notre fermeté joignez votre prudence ,
Et que nos ennemis soient réduits au silence.
Venez , l'inquisiteur nous mande et nous attend.
LE MINISTRE.
mon fils ! mon cher fils , je te quitte un instant.
Je remets dans tes malus et ma vie et ma £:l«i.r9i
62 LES TEMPLIERS,
SCENE VI.
MAKIGKI fils, seul.
Grand Dieir! c'est de toi seul que j'attends la victoire ;
De mon saint dévoûment assure le succès.
Mon père , Adélaïde , ont droit à mes regrets ;
Je combats a la fois l'amour et la nature :
Je ne puis de mon cœur étouffer le murmure.
Et toi , mon père ! et toi , cesse de t'affliger.- ,
Lorsqu'en ce jour fatal un funeste danger ^
Me fait pour la vertu renoncer a la vie,.
Tu parles de l'honneur .! tu crains l'ignominie !
Mor^ choix est fait :. pourquoi le condamnerais-tu ? ,
L'homme a créé l'honneur , Dieu créa la vertu.
FIN DU TROISIEME ACTE.
ACTE IV, SCÈNE I. 6*
ACTE IV.
SCENE PREMIERE.
LA REINE, LE CONNÉTABLE.
LE CONNÉTABLE.
JTouR mes dignes amis oomLien nous devons craindre !
Tel les croit innocents qui n'oserait les plaindre.
De leur sort malheureux justement révolté,
J'ai fait devant le roi parler la vérité ,
Et ce n'est point en vain ; j'obtiens que le grand-maître
Aux regards du monarque enfin puisse paraître.
Les ordres sont donnés pour l'entendre a l'instant.
Mais dans l'inquisiteur quel orgueil insultant?
Ah î j'en suis indigné j vainement on espère
De ce prêtre inhumain désarmer la çolèrç.
Quoi! lorsqu'autour de, nous des prêtres révérés.
Entre l'homme et le ciel médiateurs sacrés ,
Offrent dans leurs vertus , dans leur bonté touchante ,
Du Dieu qu'ils font chérir l'image consolante ,
64 LES TEMPLIERS,
L'altier inquisiteur, qni s'élève en un jour
pes intrigues du cloître aux honneurs de la cour
Se présente toujours prêt a lancer la foudre !
On crajjit de condamner, lui frémirait d'absoudre.
H m'écoutait d'un air distrait et menaçant :
11 peut faire le mal , il se croît tout-puîssant.
LA REÏNE.
A ce prêtre orgueilleux je parlerai moi-même.
Lui seul ne dicte pas la sentence suprême ;
D'autres juges encor partagent son pouvoir.
LE CONNETABLE.
Je me rends aujwès d'eux et m'en fais un devoir.
Renonçant en ce jour k ma fierté guerrière ,
Je sais pour des amis descendre à la prière.
Pour les sauver , faut-il supplier ? j'y consens :
Rien ne coûte à mon cœur puisqu'ils sont innocents.
LA REINE.
J'attends le roi. Bientôt mon zèle et ma présence
S'uniront a vos soins.... Mais c'est lui qui s'ba auce.
(Le connétable se icliie en voyant arri^'erle roi.^
\CTE IV, SCÈNE II. 6$
SCENE II.
LE ROI, LA REINE.
LA HEINE.
Sire, de votre hymen quand j'acceptai l'honneur,
Je voulus , j'espérai mériter mon bonheur.
Fidèle a votre gloire , a. votre renommée ,
J'osai par mon exemple encourager l'armée,
Dans ses nobles travaux seconder mon époux ,
Et quelquefois mes soins furent dignes de vous.
J'obtins des droits sacrés à votre confiance ;
Je veillais avec vous au bonheur de la France ;
Vous appeliez sur moi l'amour de vos sujets ,
Et toujours ma présence annonçait vos bienfaits.
Quel changement subit ! qu'il m'afflige et m'étonne !
Quand la foudre en grondant vole du haut du trône.
Quand ses coups imprévus jettent dans le malheur
Des guerriers qu'illustraient le rang et la valeur,
Lorsqu'on les abandonne aux complots de k haine ,
Quoi ! la dotileur pubhque en avertit la reine !
Quoi ! sire , vos projets se cachaient devant moi !
Je me plains a l'époux du i»ilence du roi.
Ï9-
66 LES TEMPLIERS,
Du moins contre l'erreur de la toute-piilssance ,
Ne puis-je réclamer ks droits de l'imiocence ?
Si je prends le parti de tant de malheureux ,
J'agis pour votre gloire encor plus que pour eux.
Vous livrez ces guerriers a ce juge implacable
Qui force l'innocent a s avouer coupable ;
Qui se dit convaincu dès qu'il peut soupçonner ,
Et commence & punir avant de condamner.
Le ministre d'un Dieu de paix et de clémence,
Sur un saint tribunal fait asseoir la vengeance !
Devant lui l'accusé se trouble et se confond :
La tarture interroge, et la douleur répond (i).
Partout l'inquisiteur s'empare des victimes.
On connaît leurs malheurs , on ignore leurs crimes.
Sire, écoutez mes vœux : que ces infortunés,
Déjà dans votre cour hautement condamnés,
Sortent de la prison et de l'ignominie ,
Mes états aujourd'hui deviendront leur patrie ;
(i) Il est prouvé par les instructions de Finquisi-
leur, par les procès- verbaux des interrogats, par les
défenses des templiers , par les récits des historiens ,
que, quand les chevaliers refusaient l'aveu des cri-
mes qu'on leur imputait, ils étaient mis de suite à la
torture.
ACTE IV, SCÈNE IL 67
Je veillerai sur eux. JNomraons un tribunal
Digne de les juger , auguste , impartial ;
Si ces guerriers alors sont déclarés coupaljlcs ,
Nos cœurs , comrae les lois, seront inexorables ;
Si l'arrêt les absout , c'est "a votre équité
Qu'ils auront dû l'honneur, leurs jours, leur liberté.
Pardonnez h mon zèle ; oui , sire, j'ose croire
Que votre erreiu: encor peut servir votre gloire :
Reconnaître, et surtout réparer son erreur,
C'est agir en vrai roi , c*est régner sur son cœur.
LE ROI.
Saisir les chevaliers, et surtout le grand-maître.
C'était sauver l'état et nous-mêmes peut-être ;
Je n'avais cju'un instant : en de pareils projets.
Qui délibère trop hasarde le succès.
Ces guerriers me bravaient ; coiitre leur résistancrr
J'ai déployé soudain les droits de im. puissance.
Quand je réglais leur sort , pourquoi désobéir ?
Résister à son roi n*est-ce pas le trahir ?
Et devais- je laisser tant d'audaCe impunie ?
Non , la sévérité n'est pas la tyrannie.
Ils profanaient l'autel qu'ils auraient dû vengoi ,
L'inquisiteur lui seul a droit de les pger.
es LES TEMPLIERS,
Devant son tribunai pliis d'un témoin assure
Que leur zèle apparent n'était qu'une imposture.
Sous ces dehors pieux qu'ils affectent toujours ,
Quaud ils sont dans l'es camps et surtout dans les cours.
Ils ont l'art d'imposer au crédule vulgaire ;
Mais leurs impiétés souillent le sanctuaire.
LA REINE.
Sire , votre courroux....
LE ROI.
Ne me soupçonnez pas
De vouloir lâchement leur honte et leur trépas ;
Chacun peut a soi) gré, sans que je m'en offense.
Parler en leiir faveur et prendre leur défense.
J'ai le droit d'accuser , c'est même mon devoir j
Mais de leur pardonner je retiens le pouvoir.
Quel que soit leur destin , recevez l'assurance,
Que toujours leurs regrets obtiendront ma clémence.
Le grand-maître à l'instant paraîtra devant moi :
Pnissc-t-il trouver grâce aux regards de son roi!
Certes , s'il se repent , ou s'il se justifie ,
Cet instant deviendra le plus beau de ma vie.
Je dois lui parler seul. Croyez que votre époux
S'impose le devoir d'être- digne de vous,
ACTE IV, SCÈNE IL 6g,
LA REINE.
Du grand-maître surtout j'atteste l'innoceuce.
Vous avez estimé ses vertus , sa prudence ;
Il combattit pour vous et fut toujours vainqueur j
Sire , je le confie à votre propre cœur ;
C'est à vous de juger,... Il vient, je me retire.
SCENE III.
XE ROI, LE GRAND-MAITRE.
LE nof.
Approchez, je suis prêt à vous entendre.
LE G|l AîîD-MAITRE.
Sire,
Lorsque me distinguant parmi tous vos sujets ,
Vous répandiez sur moi d'honorables bienfaits ;
Le jour où j'obtenais l'illustre préférence
De nommer de mon nom le fils du roi de France (i),
(2) II était parrain de Robert:, quatrième fils du
roi. Robert uionrut très-jeune au mois d'août i3o8.
Il parait qu'il avaitété fiancé en i3o6 avec Constance^
fille de Frédéric III, roi de Sicile.
7© LES TEMPLIERS,
Aurai-je pu m'attendre a l'affront solennel
De paraître a vos yenx omme un vil criminel ?
Sire, votre vengeance est partout redoutée,
Mon seul malheur serait de l'avoir méritée.
La haine nous a peints comme vos ennemis ,
Nous, fidèles guerriers et citoyens soumis.
Sire , nommerez-vous conspirateurs ou traîtres
Ceux qui mettent leur gloire a mourir pour leurs maîtres j
Qui , pouvant conquérir ou fonder des états ,
Descendaient noblement au rang de vos soldats ?
En tous lieux notre sang a payé votre gloire.
Lorsqu'aux plaines de gâtons vous fixiez la victoire ,
J'eus l'honneur de combattre à côté de mon roi.
On daigna distinguer mes chevaliers et moi ;
Vous en vîtes plusieurs , ardents à vous défendre ,
Prodigues de leur sang , heureux de le répandre ,
Succomber avec gloire , en repoussant les coups
Que le glaive ennemi dirigeait jusqu'à vous.
Pour leur roi , pour leur maître ils donnèrent leur vie r
Témoins de leurs hauts faits, nous leur portions envie j
Chacun de nous voyant le péril sans effroi ,
Croyait servir son Dieu quand il vengeait son roi.
De tous nos chevahers telles sont les maximes ;
C'est la religion qiiî les rend magnanimes ;'
ACTE IV, SCÈNE III. 71
Deux nobles sentiments assurent leurs succès ,
Le zèle du chrétien, la valeur du Français.
Interrogez leur sang; oui, sire, il fume encore;
Et c'est nous que la haine accuse et déshonore !
LE ROI.
De tous vos chevaliers je connais les hauts faits ;
Mais ont-ils surpassé ceux des guerriers français ?
Ces guerriers à leurs fils transmettent d'âge en âge
Le dépôt de l'honneur, l'exemple du: courage ;
Tous avec dévoûnrent ont toujours combattu ;
Ce sont d'autres soldats , c'est la même vertu.
Quand mes propres exploits assuraient la victoire,
Vous marchiez dans nos rangs , et ce fut votre gloire.
Guerriers , il fallait vaincre , et sujets , obéir.
Mais tel combat pour nous qui pense a nous trahir ,
Ou prépare de loin les discordes civiles:
L'art des ambitieux est de se rendre utiles,
De feindre des vertus jusqu'au fatal moment,
Où le projet du crime éclate impunément.
De vos justes revers n'accusez que vous-mêmes.
Vous résistez encore h mes ordres suprêmes.
Du moins si vous n'anez offensé que le roi ! . . .
Mais la religion, mais notre auguste foi
j,% LES TEMPLIERS,
LE GKAND-MAITRE.
L ai-je hien entendu ? Ces viles calomnies
Que votre autorité devrait avoir punies,
Ces mensonges grossiers , hasardés contre nous ,
Auraient donc excité votre injuste courroux!
Quoi ! sire , un seul instant auriez-vous pu les croire ?
Faut-il de vos soupçons défendre notre gloire ?
Ah 1 si jusqu à ce point je dois ra'humilier ,
Je préfère mourir à me justifier.
A la religion notre ordre est infidèle !
Dit-on : mais nous vivons et nous jnouron» pour elle.
L'hypocrite ose-t-il affronter le trépas ?
Il ment , trompe , séduit ; mais , sire , il ne meurt pas.
On a calomnié notre sainte croyance !
Le sang des chevaliers versé pour sa défense ,
Ne réfute-t-il pas des doutes imposteurs ?
Ce sang parle plus haut que nos accusateurs.
Villars , Montmorency , Villeneuve , Chevreuse ,
Baufremont, Laigneviile, ô troupe généreuse !
O pieux chevaliers , vrais soldats de la foi !
Vos noms et vos vertus répondent naieux que moi.
Ah î sire , vous pouvez souffrir ces injustices !.....
LE ROI.
Je pui^ vous annoncer l'aveu de vos complices.
ACTE lY, SCÈNE III. 73
LE GRAND-MAITRE.
Quoi ! tous a leurs malheurs n'auraient pas résisté !
Quoi ! tous dans leurs vertus n'auraient pas persisté !
l-pur aveu , dites-vous. . . .
LE ROI.
j^ Vous en doutez encore î
LE GRAND- MAITRE.
J'aurais droit d'en douter , puisqu'il les déshonore.
A nos malheurs , grand Dieu, joindrais-tu ce malheur ?
LE ROI.
Un chevalier long-temps fameux par sa valeur.
Et qui s'enorgueillit de votre haute estime ,
Aux juges a déjà révélé plus d'un crime.
C'est votre ami.
LE GRAND-MAITRE. ,
Daignez ne pas me le nommer.
LE ROI.
Pourquoi ?
LE GRAND-MAITRE.
Vous m'avez dit que j'ai pu l'estimer.
Que j'ignore toujours
y4 les templiers,
LE ROI.
Il donne bas un ordre à l'un de ses officiers.
Ç yiu grand— maître. J-
Je veux que sa présence
Confonde votre orgueil et votre défiance.
Oui , qu'il vienne.
%
LE GR AND-MAlTnE.
De grâce, épargnez-moi.
LE ROI.
Non, non.
Tespère devant vous accorder son pardon.
Ses aveux , ses regrets méritent ma clémence ;
Tous pourraient , comme lui , désarmer la vengeance,
SCEÎSE IV.
LES M^MEs, LATGNEVIELE,
LE GRAKD- MAITRE.
Quoi ! Laigneville î ô ciel !
LE ROI.
Yous êtes étonné !
LE GR A Jf D - M AITRE.
C'est celui que mon cœur €Ùt le moins soupçonné.
ACTE IV, SCÈNE IV. 7$
I.aigncville , est-il vrai ? non , je ne saurais croire
Que , cédant avec honte une indigne victoire ,
L'ua de mes clievaliers ait eu la làclieté
De trahir son devoir , 1 honneur , la vérité.
Nous devions préférer une mort honorable.
LAIGWE VILLE.
Mon cœur est innocent , mais ma bouche est coupable.
J'ai fait de faux aveux , et j'en suis iudigué.
Des pleurs du repentir mon visage est baigné.
Vos regards m'ont instruit de l'excès de mon crime.
Mais aurais-je perdu tout droit à votre estime ?
Hélas ! je n'ai pas eu la force de souffrir ;
Je puis tout réparer , je puis encor mourir.
De mon funeste exemple 6 suites déplorables 1
Plusieurs autres guerriers , encore irréprochables ,
Témoins de ma faiblesse, ont soudain hésité.
Enfin , ils ont trahi l'honneur , la vérité. ,
Vaincus. par la douleur, et gémissant de l'êfre , '
L'un de nos chevaliers a nommé le grand-maître ;
A peine il prononçait votre nom glorieux ,
Les larmes du remords ont coulé de nos } eux.
« Soyons dignes de lui , chacun de nous s écrie ,
» Reprenons notre honneur , en cédant noire vie j .
"jô LES TEMPLIERS,
Devant l'inquisiteur tous se sont présentés ^
Pleurant sur leurs aveux, tous les ont rétractés (i).
Comptez sur leur vertu.
LE GR ABf D-MAI TRE.
Dieu permet que j y compte !
Je retrouve la gloire où je craignais la lionte !
J'admire et je bénis ce généreux remord;
Vous pouvez désormais nous offrir à la mort. .
O ciel ! jusqu'à la fin soutiens notre constance.
Sire , vous l'entendez.
LE "R-Oi f ai^ec vû>acite.
Sortez de ma présence.
C Tout à coup se reprenant, et at^ec calme. J
Sortez,
(i) Ces chevaliers avaient déjà subi la honte d'un
aveu. Le sentiment de la vertu et de la vérité, et un
noble repentir, pouvaient seuls les décider à préfé-
rer la mort sur un échafaud , à la vie rachetée par
l'ignominie et le mensonge , et tous le firent ; tous,
moururent dans leur rétractation , sans que l'aspect
de la mort , sans que la douleur du supplice en ébran-
lât un seul. On ne trouve dans aucune liistoire ni
ancienne ni moderne, l'exemple d'une aussi coura-
geuse résolution, ennoblie par des motifs aussi purs et
aussi dé^sintéressés.
ACTE IV, SCÈNE V. 77
SCENE V.
1.E ROI, seul.
Ah ! mon courroux n'a pu se contenir j
Ils me réduisent donc au malheur de punir.
Avec quelle fureur leur faux zèle s'exprime !
Je reconnais enfin l'esprit qui les anime.
D'un chef ambitieux fanatiques soldats ,
Au seul nom du grand-maître ils courent au trépas*,
Quel triste aveuglement ! quelle coupable audace î
Touché de leurs aveux , fier d'accorder leur gi:âce ,
A leurs premiers regrets j'étais prêt a l'offrir.
Un regard du grand-maître ordonne de mourir ;
Et déjà Laigneville , affrontant la vengeance,
Victime volontaire , échappe à ma clémence !
Quel est donc ce pouvoir terrible et dangereux ?
Du fond de sa prison leur chef règne sur eux !
Que la voix de ce chef désigne une victime ,
Tous seront glorieiu de commettre un grand crim«,
Tous oseront s'armer , conspirer contre moi ,
£t sur le troue même assassiner un roi.
78 LES TEx\IPLIERS,
SCENE VI.
LE ROI, LE CHANCELIER.
LE CHANCELIER. ;f ,t^
Sire , je viens remplir un triste ministère ; i
Mais le devoir l'exige , et je ne puis me taire.
L'œil de rin<juisiteur , son zèle rigoureux
Poursuit des accusés les complices nombreux.
Partout des templiers les trames criminelles
Séduisaient vos sujets , même les plus fidèles.
Aurait-on pu le croire? au milieu de la cour ,
Près de vous , sous Vos yeux , vous aviez chaque jour,
Un templier caché , 'qiii j secondant peut-être
Les intérêts, Tespoir, les desseins du grand-maître,
Nous dérobait a tous ce funeste secret :
Le jeune Marigni je le nomme h regret.
LE ROI.
Se .peut-il ? . . . Quel soupçon et ni'indigne et m'éclaire !
L E C H A I\ C E L I E n.
Quand j'accuse k fils , je rends justice au père.
Oui , le père ignorait cet horri!)le malheur,
ii me suit : vous verrez sa honte ol sa douleur.
ACTE IV, SCÈNE VI. 79
Sire , son dévoîiment h son maître , k la France ,
Ou monarque et des lois mérite l'indulgence.
SCENE VIL
LES M^MEs, LE MINISTRE.
1.E MINISTRE.
Sire , sauvez mon fils : on l'arrête a l'instant ;
L'inquisiteur le juge , et l'échafaud l'attend.
Je frémis de son sort , de mon ignominie :
Dans l'ardeur de venger mon prince et la patrie,
Hélas ! j'ai prononcé ces terribles accents :
« Quand les coups tomberaient même sur nos enfants .
» L'intérêt de l'état commande qu'on punisse. ... m
Mais des crimes des chefs mon fils n'est pas complice.
Vous aviez distingué son zèle et ses vertus.
Ces traîtres l'ont séduit , c'est un crime de plus.
LE ROI.
Je rçspecte le titre et le malheur d'un père ,
11 m'en coûterait trop de me montrer sévère.
Vous le savez. Du crime ou de Terreur du fils ,
Que son serment engage avec mes ennemis ,
Je ne rendrai jamais le père responsable ,
Il est trop malheureux quand son fils est coupable.
II
8o LES TEMPLIERS,
L'opprobre pourrait-11 vous atteindre aujourd'iiui ?
Qu'il frappe le coupable et ne frappe que lui.
Vous conservez vos droits k toute mon estime.
Instruisez votre fils a réparer son crime.
A vos sages avis , s'il ose résister ,
Ce n'est plus Marinai que. je dois consulter ,
C Au chancelier. )
Mais comptez sur mon cœur. Les amis du grand-maître^
Cachés autour de moi , nous menacent peut-être.
Voyons l'inquisiteur ; je veux l'interroger ,
Et par mes propres soins veiller sur le danger.
riN r> U QUATRIEME A.CTE>
ACTE V, SCÈNE I. 8i
ACTE V.
SCENE PREMIERE.
MARIGNI fils, LAIGNEVILLE, MONT-
MORENCY, DIVERS TEMPLIERS.
MARIGNI, fils.
V ous savez que la reine a pris notre défense:
Ses vertus, son crédit , son rang, son éloquence,
Tout semble loin de nous écarter le danger :
Elle a daigné nous voir et nous encourager.
Les juges, étonnés, ont repecté son zèle.
Et nos accusateurs pâlissent devant elle.
LAIGNEVILLE.
Quoi ! nous aurions fléchi ces juges menaçants ?
Et nous suffirait-il d'être tous imiocents ?
MARIGNI , fils.
Vous n'avez plus d'espoir ?... vous en auriez peut-être ,
Si tantôt vous aviez entendu le grand-maître;
8a LES TEMPLIERS,
On vous reconduisait : de tous les prisonniers ,
Le grand-maître et moi seul, nous restions les derniers.
Avant de prononcer leur fatale sentence ,
Les juges ont permis qu'il prît notre défense;
Sans courroux, sans audace, et sans être ab attu
Avec la dignité qui sied k la vertu,
11 réfute aisément les lâches impostures
Qu'exhalent contre nous quelques bouches impures
Il prouve qu'en tout temps les vertus et l'honneur
Pouvaient seuls de notre ordre assurer le bonheur.
« Nous sommes innocents , disait-il , nous le sommes ;
M Nous prenons a témoins , Dieu , les rois et les hommes.
» Contre nos oppresseurs nous aurons attesté
» Et le siècle présent et la postérité :
» Que le fer des bourreaux nous arrache la vie ;
» Qu'ils épuisent sur nous toute leur barbarie,
» On n'entendra de nous que ces nobles accents :
» Nous sommes innocents , nous mourons innocents.
n Que le feu des bûchers s'élance et nous dévore ;
» Au milieu des bûchers nous le dirons encore ;
» Et peut-être du fond des tombeaux gémissants,
M S'élèveront ces cris : nous étions innocents. »
De nos juges alors la nombreuse assemblée
Paraît a nos regards interdite et troublée.
ACTE V, SCÈNE I. 83
S'ils hésitent d'absoudre, ils n'osent condamner :
On eût dit que sur eux ils entendaient tonner
Les accents éternels , la colère céleste ;
Quand notre illustre chef, toujours calme et modeste ,
Daigne parler encore et les interroger.
Enchaîné devant eux , il semble les juger.
Telle est de la vertu l'autorité suprême !
Mais cependant on veut que je sorte moi-même.
Il reste seul. Amis , croyez qu'en cet instant
JN^otre innocence obtient un triomphe éclatant.
Le grand-maître... C'est lui... Quelle noble assurance I
SCENE II.
LES MEMES, LE GRAND-MAITRE.
LAIGWEVILLE.
Dites'uous votre sort.
LE GRAND-MAlxnE.
Vous le saviez d'avance.
LAIGNEVILLE.
Quel que soit votre sort , vous nous trouverez tous
Préparés il souffrir , a mourir avec vous.
84 LES TEMPLIERS,
Mais enfin quel est-il ? vous n'osez nous le dire.
MONTMOKEKCT.
L'horreur de 1 ecLafaud ?
LE G R A N D-M A I T R E.
La gloire du martyre (i).
Remercions le ciel qui nous l'accorde à tous.
Que le feu des bûchers s'allume autour de nous ;
Que le fer de la mort s'agite sur nos têtes,
Je suis prêt. L'êtes- vous ? oui , je vois que vous l'êtes.
Grand Dieu! je te bénis; tu répands dans nos cœurs
Un courage plus graîid encor que nos malheurs.
Tu veux que l'univers reçoive un saint exemple ;
Ces soldats de la foi , ces défenseurs du Temple ,
Justement préférés., sont dignes de l'offrir
A ceux qui , pour ton nom , doivent un jour mourir.
Quel glorieux revers ! quelle infortune auguste !
Souvent celui que frappe un jugement injuste,
(i) Qui tanquàîti Christi martyres in tor-
vientis pro veritate sustinendâ cum falma mar-
rvRii decesserunt.
{ Défense des templiers par- devaitt-ies commis-
saires apostoliques. )
ACTE V, SCÈNE U. 8!
Sous ks coups du malheur tristement abattu ,
Te demande la vie, et nous, c'est la vertu.
C^ux cltevaliers. J
La vertu nous suffit: et puisque notre vie,
Ou plus tôt ou plus tard, doit nous être ravie,
Bénissons nos périls ; c'est par eux qu'aujourd'hui
Dieu marque le chemin qui nous ramène h lui.
Bravons de nos bourreaux la fureur criminelle.
Que nous enlèvent- ils? la dépouille mortelle;
Ils peuvent de nos jours éteindre le flambeau;
La vertu brille encore au-delà du tombeau ;
Je sens qu'elle survit a notre heure suprême,
Pour l'immortalité , pour le ciel, pour Dieu même.
D'uu supplice cruel nous serons glorieux.
Mes amis, l'échafaud nous rapproche des cieux.
C Iti ie mettent en marche. )
SCENE ni.
LES MEMES, LE CONNÉTABLE.
LE COMNET AELE.
Pvestez. Le roi l'ordonne, et lui-même s'avance.
Il vous permet encor d'implorer sa clémence.
La reine , vos amis veillaient sur votre sort :
Le roi révoquera l'arrêt de votre mort.
B6 LES TEMPLIERS,
Il suffit que pour tous le grand-maître supplie,.
Vivez pour l'amitié , la gl-oire , la patrie.
Cédez. Tous vos amis l'exigent. 11 le faut.
J'étais prêt à vous suivre au pied de l'écliafaud".
Devant toute la cour , devant toute la France ,
En ce moment cruel , j'aurais , par ma présence ,
Avoué pour amis des proscrits vertueux ;
Oui, j'aurais mis ma gloire a paraître auprès d'euxj-
Mais des bontés du roi nous avons l'assurance :
Il ne tiendra qu'à vous d'obtenir sa clémence.
Ne la dédaignez pas. Ce serait a regret
Que le roi...
SCENE IV.
LES MEMES, LE ROI.
LE ROI.
Vous avez entendu votre arrêt:
Vous direz-vous encore innocents ?
LE GRAND-MAITRE,
Nous le sommée,,
LE ROI.
Vous êtes condamnés.
LE GRAND-MAITRE.
Au tribunal des hommes.
ACTE V, SCENE IV. 87
LE CONNÉTABLE.
11 VOUS reste un espoir.
LE G R A N D-M A I T R E.
Il nous reste à mourir.
LE CONNETABLE.
A la bonté du roi n'osez -vous recourir?
La clémence est le droit de son pouvoir suprême.
Vous admettre à ses pieds , c'est vous l'offrir lui-même,
LE GRAND-MAITRE ttU roi.
Ces augustes bienfaits d'un prince tout-puissant
Sont pour le seul coupable et non pour l'innocent.
Demander un pardon , c'est avouer im crime.
Par cette lâcheté , nous perdons votre estime ;
L'innocence a ce point ne peut s'humilier :
N'avons-nous (jue la mort pour nous justifier ?
Nous demandons la mort.
J-E ROI.
Mais quand j'offre la vie.
LE GRAND-MAITRE.
Siie, offrez-nous l'honneur. Si votre voix publie
88 LES TEMPLIERS^
Que, malgré cet arrêt, nous sommes innocents,
Vous trouverez nos cœurs encor reconnaissants.
Une grâce n'est rien ; il nous faut la justice.
C'est notre jugement qui fait notre supplice.
Dépouillés de nos rangs , persécutés , proscrits ,
Ne rencontrant partout que haine ou que mépris ,
Si nous pouvons survivre h ce revers funeste ,
Infortunés ! il faut qu'au moins l'honneur nous reste.
Assurée notre honneur , sire , et de vos genoux ,
Nous volons aux combats, et nous mourons pour vous
LE co N s ûtxsi.1:., (à part).
Ah ! je cours de la reine implorer l'assistance.
C Le connétable sort. J
SCENE V.
LES MÊMES, hors LE CONNÉTABLE.
LE ROI.
Vos parents, vos amis suppliaient ma clémence.
Et moi-même, cédant aux cris de la pitié.
Peut-être au souvenir d'une ancienne amitié,
J'ai dit; « que leurs regrets désarment ma justice;
» Oui, que devant sou roi le graud-maître fléchisse.
ACTE V, SCÈNE V. bg
n Et je ne vois eu eux que des infortunés ;
» Ils sont assez punis , quand ils sont condanmés.
5) Quai-je voulu? venger et l'autel et le trône.
)) Le roi les accusa , Philippe leur pardonne.
» J'attends leur repentir : ma cour et mes bienfaits
» Honoreront en eux des chevaliers français. »
Mais quoi ! vous ijupcsez des lois a ma clémence !
Il faut que je proclame encor votre innocence.
Quel est donc cet orgueil? N'exigerez -vous pas
Que vos accusateurs soieut livrés au trépas?
Que flétrissant ma gloire, et m'accusant moi-même,
J'abaisse devant vous l'honneur du diadème?
Ah ! c'en est trop. Pensez au sort qui vous attend.
A votre repentir j'offre encor cet instant.
Implorez ma clémence , ou craignez ma justice.
C'est a vous de choisir.
LE G R A It D-M A I T R E.
Qu'on nous mène au supplire.
LE ROI.
Marigni! votre père intercédait pour vous.
J'ai voulu vous sauver ; je pardonnais a tous.
Pensez au désespoir de voire père.
90 LES TEMPLIERS,
M A R I G W I , fils.
Ah ! sire,
Vous attaquez mon cœur; la douleur le déchire:
D'un père infortuné je déplore le sort;
Mais la vertu commande, et je marche à la mort.
LE KOI.
J'exerçais envers vous mon droit le plus auguste.
J 'étais trop généreux ; c'est l'instant d'être juste.
Je le serai sans doute, ingrats... retirez-vous.
LE GRAND-MAITRE dU roi.
Dieu lit au fond des cœurs; qu'il soit juge entre nous.
(Aux chevaliers, )
Amis, c'est devant lui que nous allons paraître.
Notre triomphe est prêt.
(Ils sortent; le grand-maître reste h
dernier sur la scène. J
SCENE VI.
LE ROI, LA REINE, LE GRAND-MAITRE.
Lj; ROI vojcant entrer la reine.
Rappelez le grand-maître.
ACTE V, SCÈNE VI. 91
C^lii grand-maître, qui s'arrête,
et qui ensuite s'approche. J
Restez ;... De votre sort plus que vous j'ai frémi,
N'avez-vous rien a dire k votre ancien ami ?
LE GRAND-MAITRE.
Ah! sire, si j'osais...
LA REINE.
Parlez.
LE ROI.
Je vous l'ordonne.
LE GRAND-MAITRE.
Sire, je vous dirais que mou cœur vous pardonne.
Du haut de l'échafaud , je promets a mon roi
De prier que le ciel pardonne comme moi.
Mais , sire , le péril déjà vous environne.
Nos malheurs deviendront une dette du trône.
Un jour, peut-être un jour , d'inutiles regrets. ..
LA REINE.
N'achevez pas.
LE GRAND-MAITRE.
Grand Dieu ! ne nous venge jamais.
(Il sort; des gardei l'entourent elle suii'cntj.
ê
92 LES TEMPLIERS,
SCENE VII.
LE ROI, LA REINE.
LE ROI.
Son délire cruel m'insulte et me menace ;
Quoi î ma clémence même enhardit leur audace.
LA REINE.
Quel trouble impétueux s'élève dans mes sens ?
Je crois entendre encor ses terribles accents.
Je frémis. . . Ecoutez ma timide prière :
Il sera toujours temps de vous montrer sévère.
Je me borne à ces mots : « On les immole tousj
« N'est-il point d'innocents , sire, le pensez-vous?
» Tous ont-ils mérité cet infâme supplice ?
» Qu'un seul soit innocent, souffrez-vous qu'il périsse?
LE ROI.
Ils sont tous condamnés, et des témoins nombreux
D'une voix unanime ont déposé contre eux.
Vous le savez.
LA REINE.
L'erreur, le mensonge, la haine
En imposent souvent à la justice humaine.
ACTE V, SCÈNE VII. 93
I, C ROI.
■Plusieurs out avoué.
LA. REINE.
Par crainte de la mort.
Mais , sire , ignorez-vous leur sublime remord ?
J'oppose aux accusés qui, pour sauver leur vie.
Dénoncent faussement leur propre ignominie ,
Ceux qui , sauvant Thonneur , hardis à tout braver ,
Se diseut innocents, meurent pour le prouver. . .
Quel iutérêt aurais-je a prendre leur défense ?. . .
Sire , à leur repentir vous offrez la clémence ;
Accordez -leur le temps de former des regrets ,
De sentir le besoin, le prix de vos bienfaits;
Accordez-moi du moins que leur mort se diffère,
Que. . .
LE ROI.
J'accuse sans haine et punis saus colère.
Mais alors que dos grands la coupable fierté
Résiste insolemment a mon autorité ,
Un monarque investi des droits de la couronne j
Doit se faire obéir ou descendre du trône.
Si vous espérez d'eux mi noble repentir ,
A pa:donner encor je pourrai Goasentir
94 LES TEMPLIERS,
LA REINE.
Prononcez.
LE ROI.
Mais il faut nue leur orgueil fléchisse.
LA REINE.
Je promets.
LE ROI à un officier.
Hâtez-vous; retardez le supplice, (i)
C L'officier sort. J t
Puissent-ils jnériter qu'un pardon généreux
Renverse l'échafaud déjà dressé pour eux !
Mais s'ils ne cèdent pas , je reste inexorable.
Les nommer innocents , c'est m avouer coupable ;
Un doute injurieux , le plus faible soupçon
Accuserait ma gloire et flétrirait mon nom.
(i)<< Arrivés au lieu du supplice.... un crieur pu-
<>•> blic vint leur annoncer , de la part du roi , grâce ,
» liberté , pour quiconque d'entre eux avouerait ses
» prétendus crimes. Ni la vue de cet affreux appa-
» reil , ni les cris de leurs parents , ni les prières de
» leurs amis , ne purent ébranler aucune de ces âmes
» inflexibles : on eut beau leur réitérer les offres du
» roi j ruse* , prières , menaces , tout devint inutile. »
Manille tus , j. T, a, p. a56.
ACTE V, SCÈNE VII. 95
LA REINS.
Les apprêts de la mort , l'appareil du supplice
Acquittent ces guerriers envers votre justice.
Consultez votre gloire, oui, vous pouvez pour eux
Sans crainte et sans péril vous montrer généreux :
Pardonnez , mais en roi dont l'auguste clémence
N'exige d'autre prix que la reconnaissance ;
Laissez de vos vertus ce noble souvenir :
Qu'on dise : « Il pardonna, quand il pouvait punir ».
SCENE VIII.
LES MEMES, LE CONNÉTABLE.
LA REINE.
Eh bien! a-t-on sauvé ces guerriers magnanimes?
LE CONNÉTABLE.
Hélas ! j'ai vu périr ces illustres victimes.
LA REINE.
Le roi leur pardonnait 5 nous espérions... mais quoi!
Leurs ennemis ont craint la cléinçûce du roi.
Ces guerriers ont péri !
13
q6 J^ES templiers,
LE CONNÉTABLE.
Du moins dignes d'envie ;
La gloire de leur mort explique assez leur vie.
LA REINE.
Vous aviez toujours dit qu'ils étaient innocents.
Des ministres cruels , des ennemis puissants. . .
Ah ! puisse sur eux seuls retomber l'injustice !
LE CONNÉTABLE à /rt m«^.
Uu immense bûcher, dressé pour leur supplice.
S'élève en échafaud , et chaque chevalier
Croit mériter l'honneur d'y monter le premrer :
Mais le grand-maître arrive ; il monte , il les devance.
Son front est rayonnant de gloire et d'espérance ;
11 lève vers les' cieux un regard assuré :
Il prie , et l'on croit voir un mortel inspiré.
D'une voix formidable aussitôt il s'écrie :
« Nul de nous n'a trahi son Dieu , ni sa patrie \
» Français , souvenez- vous dé nos derniers accents :
» Nous sommes innocents, nous mourons innocents.
» L'arrêt qui nous condamne est un arrêt injuste ,
n Mais il est dans le ciel un tribunal auguste
ACTE V, SCÈNE VIII. 97
» Que le faible opprimé jamais n'implore eu vain,
» Et j'ose t'y citer , ô pontife romain (i) !
(i) Les liistoriens ont recueilli la tradition popu-
laire , que le grand-maitre cita au tribunal de Dieu ,
le pape dans quarante jours , et le roi dans Tannée,
Peut-être révènement de la mort du pape et de celle
du roi , qui survécurent peu de temps au supplice
du grand-maitre, fut-il roccasion de répandre ces
bruits populaires qui ont été adoptés ensuite, mê-
me par des littérateurs célèbres , parmi lesquels
je puis citer Juste-Lipse , qui s'explique en ces ter-
mes : <4 Certissimum habetur quod démenti V
» Pont. Max. evenit ; qui cùm templarios , cae-
» tum religiosura et diu bonum atque utilem , Vien-
»> na3 in concilio damnasset , et in sodales ferro
» atque igni passim animadvertisset , a pluribus
>> eorura cltatus ad tribunal superîun , paulo plus
»> anno post obiit, quasi ad vàdimonium obeundum
» à supremo praetore accersitus. Sub idem tempus
» ( quod admirationem auget ) in eodem casu fuit
»> Philippus rex Gallfœ , Cujus bono danmationes
» illa3 fuisse putabantur , opibus ad euin translatis
>> et confiscatis : si a câsu , mireraur ; si a deo , Te-
» reamur, »
On lit dans les facta dicta memorahilia , etc.
qu'un templier napolitain, brûlé à Bordeaux, cita
ainsi le pape et le roi au tribunal de Dieu :
« Saevissime Clemens tyranne , posteaquàm
» mihi inter mortales nullus jam superest ad quem
J5.,
t)8 LES TEMPLIERS,
î) Encor quarante jours !... je t'y vois comparaître ».
Cliacun en frémissant écoutait le grand-maître.
Mais quel étonnement, quel trouble, quel effroi !
Quand il dit : « O Philippe, ô mon maître, ô mon roi!
o) Je te pardonne en vain, ta vie est condamnée;
i) Au tribunal de Dieu je t'attends dans l'année » .
C ^u roi).
Les nombreux spectateurs , émus et consternés ,
Versent des pleurs sur vous, sur ces infortunés.
De tous côtés s'étend la terreur , le siletice.
Il semble que du ciel descende la vengeance.
b') appellera , pro gravi morte quâ me par injuriam
^^ afficis , ad justura judirein Cliristum , qui me re-
» démit , appelle : ante eu jus tribunal te voco , unà
>> cura Philippe rege , ut intra annum diemque ambo
» illic corapareatis ; ubi causara nieam exponam , et
>> jus sine pravo affectu ullo administrabitur ; intra
>) id quoque terapus Clementera ac regem mortuos. sj
Le jésuite Drexelius s'érrie à ce sujet : « Quis neget
*)•> géniale aliquid et divinum hic intervenisse supre-
» raonumine consciscente.-' L. ii, de tribun. Uirist»
>> C. 3. » Qui nierait qu il n^y ait eu là quelque
cliose d'inspiré et de divin , par la permission de
l'Etre suprême ?
Ces traditions populaires, adoptées par les histo-
riens , démontrent que Topinicn publique fut loin
d approuver la condamnation des templiers.
ACTE V, SCÈNE YIII. <>r>
Les bourreaux interdits n'osent plus approcher-
Ils jettent en tremblant le feu sur le bûcher,
Et détournent la tète... Une fumée épaisse
Entoure lechafaud , roule et grossit sans cesse ;
Tout à coup le feu brille : a l'aspect du trépas
Ces braves chevaliers ne se démentent pas.
On ne les voyait plus -, mais leurs voix héroïc[ues
Chantaient de rÉternel les sublimes cantiques (i);
Plus la flamme montait , plus ce concert pieux
S'élevait avec elle et montait vers les cieux..
Votre envoyé paraît, s'écrie. . . Un peuple immense
Proclamant avec lui votre auguste clémence,
Au pied de l'échafaud soudain s'est élancé. . .
Mais il n'était plus temps. . . les chants avaient cessée
LA REINE.
O jour infortuné ! jour de deuil etjTalarmes î
Combien ton souvenir me coûtera de larmes !
(i) Ils ne poussèrent pas un soupir ; et , malgré ce
qu'ils souffraient dun sr cruel supplice , ils témoi-
gnèrent une fermeté et une constance admirables ,
invoquant le nom de Dieu ^ le bénissant ^ et I3
j)renant à témoin de leur innocence.
(^Histoire de l' abolition de l'ordre des leni-
plierj , p. 244- )
100 LES TEMPLIERS.
C ^u roi J.
De ces dignes héros je pleure le trépas ;
Mais, sire, ma douleur ne vous accuse pas.
Des ennemis nombreux , perfides , redouta])]es ,
Dénonçaient ces guerriers. . . vous les croyiez (;oupablci>,
LE noi.
Étaient-ils innocents ?. .. Ce doute fait horreur.
Grand Dieu! si j'ai commis une funeste erreur,
Je ne demande pas que l.'i bonté pardonne :
ï'rappe-moi , mais épargne et mon peuple et le trône.
FIN DU CINQUIEME ACTE.
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
i%^%r^.''%^^^'^^%.^V^,*«.^^^^'^^«^%/V^'X/%.%,-^^/%.««.i^/%^^^,^
PIECES JUSTIFICATIVES.
Transcription fidèle de la pièce qui se trouve in-
sérée dans le volume '^63 de la collection des
manuscrits de Dupiiy, à la Bibliothèque Impé-
riale. Ce volume est intitulé : Bulles des Papes ,
depuis Honore' IIJ jusques à Grégoire XI.
Clemens episcopus , servus sen^oruin Dei , caris-
simo in Christofilio Philippo régi Francorum illus-
triy salutem et apostolicam benedictioneni. Qiionicmi
prcpcordia tua personœ nostne incolumitas grata
certificat, scire te iiolumus qubd, illo faciente cjui
potesty Viennœ plena corporis sospitate vigemus ac
Icetanter audii'imus incolumitate consimili te rûgere.
Ad hœc , ut eorum quce in negotio templariorum
emergunt tuce notiliœ iwritatis {\) innotescat, magni-
tfuiinem regiam volumus non latere cjubd ciini in-
tjuisitiones factœ contra ordinem templariorum co-
ràm pra^latis et nliis personis ecclesiasticis , (pd ad
prcpsens sacrum conciUum venerunt , et cpios ad hoc
consresciri , certâ die , nostra deliheratio fecerat , le-
gerentiir , sepîem de ordiue templariorum ipsorum et
in auâdam alid suhsecpienti congregatione consimili ,
duo de ordine ipso, se coinm eisdem prœlatis et
personis, nohis tamen ahsentibns, prcesentârunt qui se
deffensiord ejusdem ordinis o^fer entes, asseruerunt
nulle cpdngentos vel duo millia fratres ejusdem or-
dinis ijui Lugdunl et in circumuicinis partihus mo-
(i) Pour verÏÉas.
PIECES JUSTIFICATIVES.
Traduction de la lettre de Clément 7', qui annonce
à Philippe-le-Bel (jue neuf templiers a étant pré-
sentés par-devant le concile de T ienne pour dé-
fendre l'ordre au nom de quinze cents ou deux
mille chevaliers , il a fait mettre en prison ces
neuf templiers et les j fait retenir.
Clément, évêqiie, serviteur des serviteurs de Dieu ,
a notre très-cher lils en Jésus-Christ Philippe , il-
lustre roi des Français, salut et bénédiction aposto-
lique -, sachant que les nouvelles de notre bonne santé
vous sont agréables, nous vous annonçons, qu'avec
l'aide du Tout-puissant, nous jouissons d'une entière
et excellente santé, et que nous avons appris avec
joie que la vôtre est également bonne. Pour luire con-
naître a votre grandeur royale la vérité de tous les
événements qui surviennent dans l'affaire des tem-
pliers, je dois ne pas vous cacher que tandis que
les informations faites contre l'ordre des templiers
étaient lues par-devant les prélats et autres ecclé-
siastiques qui , d'après la convocation qu'ils avaient
reçue de nous, sont venus au présent sacré concile ,
sept chevaliers de l'ordre des templiers, dans unr.
séance, et deux autres dans ime séance sul)6équentc,
se sont , en notre absence, présentés par-devant les
mêmes prélats et ecclésiastiques, et offrant de pren-
dre la défense de l'ordre, ont assuré que i5oo ou
2000 frères du mèiue ordre , qui demeuraient a
n4 PIECES
rabantur , eis circà defensionem ipsias ordinis adhee-
rere; nos tamen îpsos , se spontaiieâ offerentçs , .
detineri mandafîmus etfaciinus detineri. Et ex tune ,
cîrcà nostrœ personœ e'usiodiam , soleHiorem dili-
gentiam solito diiximus adhihendam ; hœc autem cel-
situdini tiiœ diiximus intimanda , ut tui propidi eau-
teta consUii quîd deceat et quîd expédiât circà per-
sonœ iuce custodiam diligenti consideratione voleat
prtmidere.
Datiim Viennce , 1 1 mens, novemhris , poTitî-
ficatûs Jiostri anno 6.
Prière que les templiers faisaient clans leurs prisons
lorsqu'on leur eut refusé , comme hérétiques , de
les admettre à la célébration des saints offices.
Sancti spiritûs adsit nohis gratia. Maria, steUa
viaris , perducat nos ad portant salutis. Amen. Do-
mine , Jesu Christe , sancte pater , ceterne Deus , om-
nipotens , sapiens creator , largitor, administrator
henignus , et carissimus amator , pius et humilis re~
demptor , démens, misericors sahator , Domine, te
deprecor huniiliter et exoro ut illumines me , libères
et consentes fratres Templi, et omnem populum tuum
christianum turbatum.
Tu , Domine , qui scis nos esse innocentes , fadas
liberari , ut vota nostra et mandata tua in humilitate
teneanius , et tuum sanctum serdtium etvolantatem
faciamus i contumelias iniquas , non veras , contra
JLSTIFICATIVES. loj
Lyon ou dans SCS environs, se joignaient a cii\ pour
cette défense. Quoique ces neuf templiers se fussent
présentés volontairement , nous avons cependant or-
donne qu ils fussent arrêtés, et nous les faisons rete-
nir en prison. Depuis lors nous avons cru devoir
employer , pour la garde de notre personne , des
soins plus assidus que de coutume, et devoir an-
noncer ces événements à votre grandeur , afin que la
prudence de votre conseil vigilant avise à ce qu'il
convient et importe de faire pour la garde de votre
personne.
Donné k Vienne le 1 1 novembre , an 6 de notre
pontificat.
T R A D t; C T I O 2f .
Dieu éternel et tout-puissant , sage créateur •
sauveur clément et miséricordieux, ô Seigneur, je te
demande hiuubleraent „ et je te supplie de m'illumi-
ner , de délivrer et conserver tous les frères du Temple,
■et tout ton peuple chrétien, que trouble le scandale
de nos malheurs.
O toi , mon Dieu , toi qui sais que nous sommes
innocents , procure-nous notre délivrance , afin que
nous accomplissions dans notre humilité, et nos vœux
et tes préceptes , afin que nous remplissions ton ser-
vice pieux et ta volonté sainte : délivre-nous de ces
io6 PIECES
nos opposîtas per grades oppositiones , et matas tri"
hidationes et tentationes , ouas passi fuimus , etpaù
nlteriiis non possumus.
Omnipotens , œteme Deus , qui heaîum Joannem
et^angelistam et apostolum tuum vnldè dilîgis , qui su-
per pectus tuum in cœnâ reciihuit, et cui sécréta cceii
rei^elauis et demonstrauis , et stante in ligno sanctœ
cnicïs ,pro redemptione nostrâ^ sanctissimam matreni
tuam virginem commen datais , in cujus honore glo'
riosè fuitfacta et fundata religio ; pro tua sanctâ
misericordiâ libères et conseives , prout tu scis nos
esse innocentes à criminihus contra nos ovpositisy et
opéras possideamus , per quas ad gaudia paradisi
perducamur, per CJiristumDominumnostrum, Amen^
JUSTIFICATIVES. 107
affronts cruels et non mérités que nous causent nos
grands désastres, nos terribles épreuves, et nos af-
freuses tribulations. Nous avons tout souffert jusqu'à
présent ; mais nous n'avons plus la force de résister
désoimais.
•
Par ta sainte miséricorde , délivre-nous et conserve-
nous ; tu sais que nous sommes imioceuts dfis crimes
dont on nous accuse.
io8 ' PIECES
Extrait de la dépense des soixante^aiduze.
Processus habitiis contra ipsos rapidus, violentus,
repens, miqvms', et injustris fuit; nuilam onniiiiùiiis-
titiara, sed totam injiu'iam, violentiamgravissimajTi,
«t errorem intoleraijilem continens ; quia uullo scr-
vato juris ordine vel rigore ; imô cum externiinato fu-
rore, subito capti fuerimt omnes liatres ejusdem or-
dinis, in regno Franciœ , et tauquam oves ad accisio-
nem ducti, subito bonis et rébus suis omnibus spob'ati,
duris carceribus inancipati , et per diversa et varia
gênera tormentorum , ex quibus niulli, et muiti ad
tempus coacti fuerunt menti ri contra seipsos et ordi-
nemsuum
Ut faciliùs et meliùs possent induci fratres prœdicti
ad mentienduïn , et testificandum contra se ipsos et
ordinem , dabantureis ]itterac, cum bullà D. régis pen-
dent! de conservatione membrorum , et vitœ ac ]iber-
tatis ab omni pœnà, et dib'genter cavebatur eisdem de
bonâ provisione et magnis redditibus sibi datis an-
nuatim in vità ipsorum , prœdicendo semper cis quùd
ordo Templi erat condemnatus omninô : undè qui-
curaque contra dictum ordinem fratres Templi dixe-
riut, corrupti sunt ex causis prsedictis
Omnia prœdicta sunt ita pubh'ca et notoria, quôd
nullâ possunt tergiversatione celari
Undè, super articuh's dictis contra religioneni
inhonestis, borribilibus, etborrendis, et detestandis,
tanquam impossibilibus et turpissimis, dicunt quôd
articuli illi sunt mendaces et falsi , et quod i!Ii qui
suî?gesserunt illa mendav'^-ia lani iniqua et falsa , do-
mino nostro summoponliiici, et serenissimo domino
JUSTIFICATIVES. io(>
nostro régi Francia^, sunt falsi cliristiani, vel onininô
heretici , detraf tores et seduclorcs ecclesiœ saiictae ,
totius lidei christianœ.*. . . .
Religio templi muiula et immaculata est, et fuît
semper ab omnibus illis articulis, vitiis et peccalis
praedictis; et quicumque contrariimi dixeruntvel di-
ciint , tanquam infidèles et heretici loquuntur.
Asserurï^ad defensionem ordiiiis suprhdicti , qiiod
onines articuli missi per dominuna papam sub bulià
ipsius, eis lecti et expositi , scilicet iuhouesti, turpis-
simi, et irrationabiles, et detestabiles, et liorreudi
siuit,mendaces, falsi , iiuô falsissimi , etiam et iniqui ,
et per testes , seu susurrones, et suggestores inimicos
çt falsos fabricati , adinveuti , et de novo facti
Quicumque reiigionem ipsam ingreditur, promit-^
tit quatuor substantialia, videlicet paupertatem, obe-
dieutiam, castitatera, et se totis viribus exponere
servitio sancLae terrœ, hoc est, ad ipsam terram sanc-
tam Jerosolymilaiiam acquirendam , et acquisitam, si
Deus dedent gratiam acquirendi, conservandam, cus-
todiendara , et defendendam pro posse.
Et propter hoc, parati sunt corde , ore, et opère ,
modis omnibus quibus mehùs fieri potest et débet ,
defendere et sustinere
Quod personaliter possint esse in conciho generali ,
et qui non potcrunt interesse, possint aliis fratribu$
euntibus , ad concilium committere vices suas.
Offerunt se omnes particulariter , generaliter et
singulariter , ad defensionem religionis , et petunt et
supplicant esse in concilie generaH", per seipsos^^et
ubicunque tractabitur de statu religionis.
Petunt quod omnes fratres dicti ordinis, qui relictO'
habitu seculariorum , conversantur inhonestè in op-
probrium dictas religionis, et ecclesiœ sanctœ , ponan-
tur in manu ecclesiœ, sub fidâ custodiâ, donee co-
îio PIECES
gnitum fueiit iitrùni falsum vel verum perhibiierint
testimoniiirn.
Supplicant et requirimt quod quandocunque fra-
tres aliqiii examinabanlur, nullus laicus intersit, qui
eos possit audire, vel alia persona, de quâ possint
nierito dubitare, nec pretextu alicujus terroris, vel
tiiuoris, falsitas possit exprimi, vel veritas occultari,
quiia omnes fratres generaliter sunt tant(^terrore et
timoré percussi , quôd non est miiandum quodam-
niodo de iis qui mentiuntur , sed plus de iis qui sus-
tinent veritatem , videndo tribulationes et angustias,
quas continue verlici patiuntur , et minas , et contu-
meiias , et alia mala quée quotidiè sustinent, et bona,
et commoda, et delicias, ac libertates quas habent
falsidici, et magna promissa quoe sibi quotidiè fiunt.
Uudèmira res, et fortius stupenda omnibus, quôd
major iides adhibeatur mendacibus illis qui, sic cor-
rupti, talia testiiicantur , ad utilitatem corporum^
quam illis qui, tanquam cliristi martyres, in tormen-
tis , pro veritate sustinendâ , cum palmâ martyni de-
cesserunt , et etiam quod majori et saniori parti vi-
ventium pro ipsâ veritate sustinendâ , solâ urgente
conscientiâ, tôt tormenta, pœnas, tribulationes et
anguslias, improperia, calamitates , et miserias passi
fuerunt , et in carceribus quotidiè patiuntur.
Interrogatoire âé frère Pierre de Boulogne , par le
commissaire de l'inquisiteur.
Anno Domini raillesimo trecentesimo septimo, in-
^ictione sexta , pontif. sauct. patris d. d. G. divinà
JUSTIFICATIVES. in
providcniià prjjKu V anno secuudo, die Marlis, post
festum ojuniiun Sanctorum , scilicct, seplimâ die nô-
vembris, in religiosi et honcsti viri fratris IVicolai de
Anessiaco , ordinis fratruni prc'edicatorum coninilssa-
rii , dali h leligioso et hoiiesto viro fratre de l'arisius,
ejusdera ordinis inquisitoie hoL'reticîB pravitatis in
regno Franciœ , autoritate apostolicà depiilato , nos-
tnun notariorum public* «rum, et testium infrh sciip-
toruni prœsentiâ, personaliter constitulus frater Pe-
triis de Bononia, prœsbiter et generab's procurator
totius ordinis militise Tenipli, œlatis quadiaginta
quatuor annorum vel circ'aj juratus ad sancta Dei
ev-angelia , et requisitus de se et aliis dicti ordinis mi-
litiœ templi supra dicto crimine delatis, dicere ve-
ritatem, dixit per juranientura suura, quod benè
sunt viginli quinque anni , vel circa, quod fuit recep-
tus Bonouiœ , per fratrem Guillelmum, de novis prse-
ceptorem t#ic in Lombardiâ , pra?sentibus fratre Pe-
tro Noutine et fratre Jacobo Bononiœ , tune preecep-
toribus , et aliis de quorum nominibus non recolit ;
item dixit , per jurauientum suum, quod eo recepto,
et post juramentum ab eo praestitum de statutis et
secretis ordinis , et post mantelium sibi posituni ad
eoUum , recipiens traxit {^luji ad partem , et ostendit
sibi quamdam crucem lignearo, cum imagine crucifixi^
et prœcepit sibi quod abnegaret euni cujus imago erat
ibi, et ter spueret , super crucemque fecit idem frater
Petrus; item dixit, per juramentum, quod recipiens
dixit sibi quod si tcmptatio carnis stimularet eum,
quod ipse laenè poterat se commiscere cum fratribus
ordinis sui , et ipsi secum, sine peccato ; sed ipse nun-
quam credidit nec crédit, ut dixit , quin hoc sit pecca-
tum horribile , et dixit quod nunquam commisit illud
peccatum. Item , osculatus fuit recipientem in ore ;,
in umbilico^ et in vili parte infcriore.. Item, dixit
i3
112 PIÈCES
quocl vicllt fratrem Artusium , militem secum , et pos-
tea pi lires -alios fratres dicti ordinis per illum euin-
dem modum recipi in ordine prœdicto. Item dixit,
per juramentum siiura qiiod, vi, vel metu tormeii-
toruin , vel alias , non dixit aliud qiiam veritatera , nec
in prsemissis miscuit aliquam falsitatem , sed meram
veritatera dixit pro sainte animse suae.
Mode de réception des cheyaîiers duTernple (i ),
Biaiis seignors frères , vos vees bien , que le plus
cest a corde de faire cestui frère. S'il y avoit nul de
vos , qui seust en lui chose , porquoi il ne deust estre
frères droturierement , si le deist. Car plus bêle
chose seroit, quile deist avant , que pins , quil sera
venus devant nos ; et se nul ne dit riens , si le doit len
mander querre et raetre le en une chambre près de
chapistre. Et puis li doit len mander deus podes-
homes , ou trois des plus anciens de maison , et que
miaus li saichent mostrer ce qui li covient. Et quant
il sera devant ces , illi doivent bien dire : frères, re-
queres vos la compaignie de la maison. Et se il dit :
oil; illi doivent mostrer les grans durtes de la mai-
son , et les chariables commandemens qui i sont , et
toutes les durtes aussi , qui li sauront mostrer. Et se
il dit , quil soufrira volentiers tout por Dieu , et quil
(l) E codice ins. bihliothecce Corsiniœ Iio?nce.
Curante dom, Miinter , ijSS.
(Voyez Christoph Gottlieh von Mur... An-
hajige zur Geschicfue der ternpelherren. ( Suit.-
haoh x8o5. }
JUSTIFICATIVES. n3
veaut être serf et esclaf de la maison a tous jors ,
mais tous les jors de sa vie ; et illi doivent demander
se il a femme espouse, ni fiancée , ne se il fist onques
vou ne promission a autre religion , ne se il doit dette
a nul home dou monde qu'il ne puisse paier : et se il
est sain de son cors , quil nail nule maladie reposte :
ne se il est serf de nul home : et se il dit que non , que
il est bien quites de ces choses, li frères doivent en-
trer en chapistre et dire le au maistre ou a celui qui
tendra son luec : Sire , nos avons parle a cest pro-
dome qui est defors et li avons mostre les durtes de
la maison , sicome nos avons peu et seu ; et il dit
quil veaut estre serf et esclaf de la maison , et de
toutes ces dioses que nos li demandâmes, il en est
quites et deUvres ; neu li na nul enpechemeut que
bien ne puisse et doit estre frères , se a Dieu , et à
vos , et as frères plaist. Et le maistres doit dire de re-
chief , que se il y ûvoit nul qui y seust autre chose ,
que il le deust dire. Quar meaus vaudroit ores que
après. Et se nul ne dit riens , si doit dire , Voles vos
quen le face venir de par Dieu ? et li prodome di-
ront : faites le venir de part Dieu. Et adonques doi-
vent retorner cil qui parlèrent a li, et li doivent de-
mander : J estes vos encores en votre bone volente ?
Et cil dit , oil , illi doivent dire et enseignier , com-
ment il doit requerre la compaignie de la maison.
Cest qu'il doit venir en chapistre , et se doit agenoil-
lier devant celui , qui le tient les mains ioiutes , et
doit dire : Sh'e , je sui venus devant Dieu , et devant
vos, et devant les frères , et vos prie et vos requier
por Dieu et por nostre Dame , que vos maccuillies en
vostre compaignie , et en vos bien fais de la maison ,
corne celui qui tozjors mes veaut estre serf et es-
claf de la maison ; et cil qui lient le chapistre , li doit
dire : biai^ frère , vos requerras muls grant chose :
i3..
«
u4 PIÈCES
quarde nostre religion vous iiP vees que Tcscorclie quî
est par clefors : car lesrorclie ^n est , que vos nos vees
avoir hiauschevaus, et biaus hcruois, et bien boivre,
et bien maugier , et bêles robes , et ensi vos semble
qtie vos fussies rault aisé : mais vos ne saves pas les
Ibis comandemens qui sont pardedeiis ; quar forie
chose si est, que vos, qui estes nires de vosmeismes, que
vos vos faciès serf d'autrui ; quar a grant poine ferez
jamais chose que vos veules. Car se vos vtullcs estre
en la terre de ca mer , ien vos mandera de la. Ou se
vos voles estre en Acre Ien vos mandeia en terre de
Triple , ou dAntioche > ou dArmenie , ou Ien a os
mandera en Puillc , ou en Ccsiec , ou en Lombar-
die, ou en France, oit en Borgoigne, ou en Engle-
terre , ou en pluisors autres terres ou nos avons mai-
sons et possessions. Et se vos voles dormir , on vos
fera veillier , et se vos voles aucunes fois veillier Ien
vos comandera que vos aillies reposer envostre lit.
Et cil est frère sergent, et il veulle estre frère de co vent^
Ien li puct dire quen lemetra sur un des plus vils mes-
t-iers que nos avons , par aventure au four , ou au
molin , ou a la cuisine , ou sur les chameaus , ou sur
la porcherie , ou sur pluisiors autres offices , que nos
avons, et souvent autres durs commandement quen
vos fera. Avant vos seres a la table j que vos voiidics
mangier , Ien vos comandera , que vos ailles ou Ien
hiusouses. Et vos ne nos ne porrions avoir graut da-
raaige de chose, que vos nos aies encore dite. Mais
ves ici les saintes évangiles et les saintes paroles notre
Seignor , et des choses, que vos nos demanderons ,
vos nos dires vérité, quar se vos en menties , vos
ejn séries panures , et en porries perdre la maison ,
dont Dieu vos gart.
Nos premerement vos demandons , si vos aves
fçme_, espousc nafiance par quoi ele vos jwust ne deust
«
JUSTIFICATIVES. ii5
cleraAncler par l'c droit, de sainte \ glise. Quar se vos en
meuties, et il aveuoit domain, ou plus domain, ou
quelque tens , quele venist , et ele vos peust provef
que vos fuliies son baron , et vos peust demander par
le droit de sainte ygiise , len vos osteroil 1 abit, et vos
inetroit len en gros iers. Et si vos feroit on laborer
avec les csclafs, et quant len vos auroit faitassesde
la honte, l'en vos prentroit par le poin, et vos
bailleroit lea a la feme , et auries perdus la maison a
tozjors mais.
Le segonde si est , se vos eussies estes en autre re-.
ligion , ou vos eussies lait vou ne promission. Quar
se vos leussies fait et len vos en poist ataindre , et
la religion vos demandast por son frère , len vos oste-
roit 1 abit, et rendroit a la religion , et avant vos fe-
roit ben de la honte ailes, et auries perdue la compai*
gnie de la maison tozjors mais.
La tierce si est , si vos deussies nule dete a nul
home dou monde , que vos ne peusscs paier, ou par
vos , ou par vos amis ; sans riens mètre des aumosues
de la maison , len vos osteroit 1 abit , et rendroit len
au detor , et puis ne seroit la maison de riens tenue
ne a vos , ne au dettour.
La quatre si est , si vos estes sain de vostre cors ,
quen vos nait uule maladie reposte fors ce que nos
veons pas de fors , et se vos esties proves , no atain^ ,
que vos deussies au siècle avant que vos fùssies nostrè
frère. Vos en porries perdre la maison dont Dieu vos
gart.
La quinte est, se vos aves promis ne done à home
dou monde, ne a frère dou T. , ne a autre, or , ne ar-
gent, ne autre chose, parquoi il vos peust aidief de
venir en ceste religion , quar ce seroit symonie , ne ne
vos porries sauver en nostre maison, se vos en esîies
atains, ne proves : vos en perdries la compaignie de la
t
lit] PIÈCES
maison. Ou se vos esties serf daiicun home , et il vos
demandoit , len vos rendroit a lui , et aiiries perdue la
maison. Et se il est frères chevaliers , ne li demande
riens de ce ; mes Ion li puet demander se il est fiz de
chevalier ou de dame , et que ces pei'es soit de lignage
de chevaliers , et se il est de loial mariage. Et après li
doit len demander , soit frères chevahers , ou frère
sergens , seil est prestres , ne diaques, ne soudiaques,
quàr se il avoit nules de ces ordres, et ille seroit , il en
porroit perdre la maison, et cil est frère sergent, len
li doit demander se il est chevalier. Et Ion doit Ion
demander, cil sont escomenie soit frère chevaliers, ou
frère sergent , et puis puet demander celui qui tient
le chapistre as viels homes de la maison , cil y a autre
chose a demander, et cil dient que non , si dira cil qui
tient le chapistre : hiau frère , de toutes ces demandes
que nos vos avons faites , gardies bien que vos nos
aves dit vérité, Quar ce vos nos avies de riens menti,
de nules de ces choses vos en porries perdre la mai-
son, dont Dieu vos gart.
Ores beau frère, or entendes bien ce que nos vos
dirons. Vos promettes a Dieu, et a nostre Dame que
vos mes tous les jors de vostre vie seres obéissant au
maistre dou T. , et a quelque commandeor sur vos, et
il doit dire : cil sire , si Dieu plaist. Encores promet-
tes vos a Dieu et a madame sainte Marie , que vos mes
tous les jors de vostre vie vivres chastement de vostre
cors , et il doit dire : oil sire , se Dieu plaist. Encores
prometes \os a Dieu et a nostre dame sainte Marie ,
que vos tous les jors mes de vostre vie, les bons us et
les bones costumes de nostre maison, celés qui i
sont , et celés que le maistre et li proudomes de la
maison i metront tendres. Et il doit dire : oil se Dieu
plaist , sire. Encores prometes vos a Dieu et a ma-
dame sainte Marie, que vos tous les jors mes de vostre
t
JUSTIFICATIVES. 117
vie , aideres a conquerre a la force et au pooir que
Dieu vos a doue , la sainte terre de lérusalem , et celle
que crestien tieuent , aideres a garder et a sauver a
votre pooir. Et il doit dire : oil , sire , se Dieu plaist.
Encores prometes vos a Dieu et a madame sainte
Marie, que jamais cestc religion ne laures porplus
fort ne por plus foibles, ne porpior,nepor meil-
lor, se vos ne le faciès par le congie do\i maistre , et
dou couvent qui ont le pooir , et il doit dire : oil , sire,
se Dieu plaist. Encores prometes vos a Dieu et a ma-
<lame sainte Marie , que vos jamais ne seres en luec ,
ni en place, ou nul crestiens soient deserites a tort ni
a desraison de soes choses, ne par vostre force ne par
vostre conseill; et il doit dire : oil, sire, se Dieu plaist.
Et nos de par Dieu, et de par nostre dame sainte Maiie,
et de par mouseignor saint Pierre de Rome , et de par
nostre père l'Apostoile et de par tos esfreres du T. ,
si vos accuillons a tos les biens fais de la maison, qui
ont este fais des le comencement , et qui seront i'ais
jusques a la fin. Et vos , et vostre père , et vostre mère,
et tous ces qui vos vorres accuillir du vostre lignage.
Et vos aussi nos accuilliesen tous les biens fais que vos
aves fais et feres. Et si vos pjometons dou pain et don
laigne , et de la pouvre robe de la maison , et de la
poine , et du travail asses. Et puis cil qui tient le cha-
pislre doit prendre le mantel, et li doit mètre au col,
et esîreindre les las. Et le frère chapelain doit le saume
dire que vient.
Ecce quam bonura. Etlorison dou saint Esprit, et
chascun des frères doit dire le Pater noster , et celui
qui le fait frère , le doit lever sus et baisier en la bouche ;
et est use que les frères chapelain le baisent aussi : et
purs cil qui le fait frère , le doit faire seir devant li ,
et doit dire : biau frère, nostre sire vos a amené a
vostre désirer et vos amis en en^i bêle compaignie ,
%
«
ï,8 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
eome est la chevalerie don T., parquoi vos deves
mètre grant poine en vos garder que vos ne faciès
jamais chose , porquoi illa vos conveigae perdre, dont
Dieu vos gart. Et nos vos dirons aucunes de celés
choses de qui nos remembrera de la faille de la mai-
son et de 1 ahit après, etc Nul frère dou T. por
quant que il soit gentilshoras, seil nest chevaliers,
devant que liliabit li soit donc dou T. , puisque il ait
receu labit, ne puet jamais estre chevalier , ne porter
mantel blanc si ne fust tel qui fust evesque ou de qui
ensus, ensicome il a este retrait dessus, (i e. archie-
piscopus autpatriarcha. )
FIN.
t
BINDING SECT. AUG 2 5 1967
CR Raynouard, Françoi-s
UliS Juste Marie
R33 Les Templiers
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